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Les Fantasmes de Svetambre

samedi 3 mai 2014, par Maestro

Lucie CHENU (1960-)

France, 2014

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 228 p.

ISBN : 978-1-61227-282-5

Lucie Chenu avait déjà signé il y a quatre ans un recueil de ses nouvelles, intitulé Les Enfants de Svetambre. En voici donc la suite, composée de treize textes, publiés dans diverses anthologies, de Rivière blanche (Plumes de chats) ou d’autres éditeurs (Malpertuis, Asgard, Argemmios, etc…), avec en prime un inédit (« Partir…  », nouvelle sur la perte de l’être cher à travers un univers légèrement steampunk). Si l’on devait trouver des points communs à ces histoires transcendant les frontières strictes entre genres, ce serait assurément la place centrale accordée aux femmes, au caractère bien trempé, et l’attention portée à ses personnages, la profonde empathie qu’elle leur témoigne et les sentiments qui les animent.

« Lune de mon cœur » est ainsi une sobre évocation des violences masculines au sein de la famille, enrichie de quelques touches de fantastique -les visions qui hantent le tortionnaire, évocatrices d’un Jack l’éventreur, ou les pouvoirs télépathiques de la jeune fille-, mais qui tient surtout par l’humanité des victimes, et leur relation presque fusionnelle comme mode de défense. « La sorcière de la montagne noire » entretient pour sa part des liens encore plus ténus avec le genre fantastique, le purgatoire vécu par cette enfant, amoureuse des chats qu’elle estime avoir trahis, et qui finit par se racheter au péril de sa vie, n’étant couverte que d’un très léger vernis sorcier.

Sur un mode plus proche du conte, du merveilleux, « Les disparus de Saint-Bosc  » est une polyphonie qui place au cœur les enfants, enfants incompris, oubliés ou négligés, mêlant le joueur de flûte de Hamelin et quelques éléments de mythologie grecque. Lucie Chenu ose d’ailleurs, sur ce sujet éminemment sensible qu’est la perte d’un enfant, une fin à rebours du dénouement trop facilement heureux. C’est la fantasy qui caractérise le mieux « Deliciae Meae », à la genèse originale -l’inspiration provient de l’œuvre musicale de Nicholas Lens-, et au traitement tout en finesse, en retenue et en poésie, autour de l’affrontement éternel entre le feu et la glace : on est loin, très loin, des innombrables caricatures du Seigneur des anneaux ! « Le bol d’argent » est plus traditionnel, variation sur la thématique des incubes, avec son histoire de visite d’un monde parallèle pendant le sommeil, occasion pour une femme mûre de retrouver la force et la vigueur de la passion charnelle avec un inconnu. Quant à « Ayehannah », cette histoire d’une dryade se retrouvant à la cour de Louis XIV, en proie aux rivalités et aux jalousies tristement humaines, elle est un bel exemple de fantasy historique à la Marion Zimmer Bradley ou à la Jean-Claude Servais.

Relevant plus directement de la science-fiction, « My Generation » est avant tout un texte empreint de la nostalgie de Lucie Chenu pour sa jeunesse, ce temps de vie si formateur pour les goûts musicaux en particulier. C’est également, à travers ce portrait d’une femme ayant tout sacrifié à sa vie professionnelle, et qui décide de se porter volontaire pour une expérience de recréation virtuelle du passé, une variation sur la thématique du regret, de ces choix alternatifs qui, loin de se racornir avec les ans, demeurent toujours sensibles… Sur un mode également référentiel, « La brigade des enquêtranges » est une variation sur le thème de la patrouille temporelle de Poul Anderson, dans un esprit guère éloigné de celui des Compagnons de l’Ombre, mais on ne peut s’empêcher de garder un sentiment d’inachevé, une certaine frustration devant une affaire finalement résolue assez rapidement, et une idée de vampirisme temporel qui aurait peut-être gagnée à être exploitée plus en profondeur. « Mission humanitaire » est une anticipation qui traite de la fracture sociale, ici courant entre des métropoles nettoyées de leurs éléments marginaux et un monde rural voué à la misère, au sein duquel les nantis viennent se servir en potentiels talents. Le plus intéressant, dans ce texte un brin manichéen, réside dans le parcours de la docteure héroïne, d’abord arc-boutée sur ses certitudes méprisantes, et qui finit par s’ouvrir à l’autre et à la solidarité.

Mais je ne peux cacher ma préférence pour trois textes, trois nouvelles très différentes, mais qui partagent une intensité commune. « (R)EVE » traite de l’art, ici ouvert à de nouveaux horizons par le biais des nanotechnologies. Mais la sculptrice Eve va découvrir que jouer les Pygmalion peut réveiller des démons mortifères. La sensualité débridée, érotique et hystérique de cette nouvelle la rend à la fois attirante et terrifiante : un véritable tour de force. « La cité des rebelles » est pour sa part conçu comme un hommage à l’univers de Graham Masterton (avec un clin d’œil au Dôme de King), mais il parvient à dépasser ce prétexte pour atteindre à l’universel, illustrant la plasticité des mythes religieux ; les atouts de ce très beau texte résidant avant tout dans sa narration parallèle, entre une cité refuge des mutants et un New York férocement glauque, et dans ses images frappantes, pleines de couleurs vives, celles des métamorphes… « Niche, cabane, ya !  », enfin, est sans doute le texte le plus engagé du recueil. Cette histoire d’amour tragique en ex-Yougoslavie, brisée par la géopolitique, est une véritable gifle envoyée aux rivalités impérialistes, à l’OTAN et à l’ONU, loin d’un humanitarisme naïf et superficiel, puissante dans ses émotions à vif, que l’on ne pourrait que trop déflorer à la raconter en détails. Avec ces trois textes en particulier, Lucie Chenu transforme les mots en un nectar tout à la fois corrosif, abrasif et cicatrisant, sublimant un féminisme sensuel et imprégné de ce qui fait battre les cœurs.


Pour commander Les Fantasmes de Svetambre suivez le lien vers les éditions Black Coat Press !

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