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Dominium Mundi
samedi 7 juin 2014, par
François BARANGER (1970-)
France, 2013-2014
Critic, 2 vol., 602 & 796 pages.
Formé de deux épais volumes, Dominium Mundi de François Baranger n’est pas une série faite de deux romans indépendants, mais bien un seul roman publié en deux temps pour des raisons éditoriales et en dépit du coût non négligeable pour le lecteur. Au terme de sa lecture, il m’apparaît clairement qu’on ne peut séparer le livre I du livre II, d’autant que le premier ne révèle quasiment rien, comme il a déjà été fait remarqué par Herbefol, mais à la différence de ce dernier, c’est pour cette raison même que je pense qu’il faut faire l’effort de tout lire.
Dominium Mundi met en scène une Terre irradiée à 60% et revenue à l’époque médiévale sur un plan politique et spirituel à la suite d’une brève guerre nucléaire. Cent ans après, l’Europe est formée de monarchies sur lesquelles le pape Urbain IX exerce une influence suffisamment forte pour qu’elles constituent une entité géopolitique, l’Empire Moderne Chrétien (EMC dans le livre), ayant pour vocation l’extension de la chrétienté. C’est une extrapolation science-fictive de l’ambition du pape Innocent III de faire reconnaître la domination de la papauté sur les rois au XIIIe siècle.
Mais Baranger n’avait pas pour but d’écrire un roman survivaliste post-apo. Il ne décrit que tardivement, dans le livre II, mais d’une manière assez convaincante, le déroulement des événements ayant conduit à la situation terrestre. Ce qui a guidé l’auteur pendant la décennie qu’il a consacrée à l’écriture du livre, c’est la création que pouvait produire le contraste entre des comportements appartenant au passé et un contexte futuriste [1]. En s’inspirant, plus spirituellement que factuellement, de La Jérusalem libéré, poème-fleuve italien épique du XVIe siècle du Tasse auquel il ne prétend absolument pas prêter une quelconque véracité historique mais qu’il cite régulièrement et très fréquemment vers le milieu du récit, François Baranger a voulu reconstruire une croisade. Ce n’est pas la première fois que croisés et science-fiction se rencontrent (cf. Les Croisés du cosmos ou L’Option excalibur), mais jamais avec une telle ampleur.
Une mission évangélisatrice débarquée sur la planète Akya du Centaure a la surprise de découvrir un sanctuaire orné d’un Christ crucifié et surtout contenant un tombeau immédiatement désigné comme étant celui du Christ. Le massacre des missionnaires par les autochtones entraîne la proclamation par le pape d’une Croisade interstellaire sous l’égide de l’Eglise représentée par un prêtre mineur mais charismatique, Pierre l’Ermite, et armée par quelques grands seigneurs tels Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, et Robert Montgomery, duc de Normandie. A bord d’un gigantesque vaisseau, le Saint-Michel - splendidement représenté par l’auteur sur les couvertures -, un million d’hommes et de femmes se croisent pour aller reprendre aux infidèles le tombeau du Christ.
Tous ne s’engagent pas volontairement à l’instar des inermes (une idée lexicale très ingénieuse), dont fait partie Albéric Villejust, réquisitionnés pour la croisade en raison de leurs talents et en plus complètement discriminés par les « vrais » soldats. La plupart cependant se croisent par conviction religieuse, comme les frères Tournai, ou par dans l’espoir de conforter celle-ci, comme Tancrède de Tarente, officier de carrière à la foi vacillante. Au cours du long voyage vers le Akya - lequel occupe tout le livre I -, des amitiés se nouent, des amours se construisent et se consument littéralement et des tragédies se déroulent. Un mystérieux et sanguinaire passager clandestin se dissimule à bord avec le concours des autorités. Convaincus qu’on leur cache quelque chose et que leur réquisition et leur calvaire n’ont pas la noblesse spirituelle et guerrière qui leur est prêtés, les inermes s’organisent dans la clandestinité alors que Tancrède mène son enquête, s’exposant aux brimades de sa hiérarchie. Arrivés sur Akya, les paroles laissent place aux actes et à la rébellion.
Pour un premier roman [2], le résultat est aussi ambitieux que réussi. Contrairement à Herbefol, je n’ai pas trouvé le récit si long que cela, même si le Livre I est certainement plus frustrant que le livre II. Il n’y a pas grand chose d’inutile dans Dominium mundi, à l’exception peut-être de l’Ordre du Temple, plus sous-utilisé qu’inutile à dire vrai et seul élément du cadre général que l’auteur n’a pas cherché à développer ou à en exposer les tenants et les aboutissants. Utilisé dans le livre I, il n’apparaît plus dans le livre II et j’ai trouvé que c’était un peu gâcher.
François Baranger est cependant un bon narrateur qui sait notamment jouer du flashback imbriqué dans son histoire. Cela ne signifie pas que son roman soit dépourvue d’étrangetés, généralement utilisées pour donner plus de force au récit, comme le recours à la première personne du passé pour le personnage d’Albéric, dont on ne saura jamais à qui il raconte son aventure, ou le passage au présent dans les scènes de combat alors que tout le roman est au passé. Plus agaçantes sont quelques formules très basiques dans les dialogues amoureux peut-être induit par le caractère médiéval du livre. A l’instar de ce qu’il dit dans l’interview, je suis d’accord pour lui reconnaître une forte capacité d’évocation visuelle. Je ne connais pas ses BD, aussi le matériel militaire qu’il décrit a davantage évoqué pour moi celui de la série Aquablue, en particulier les exosquelettes.
Car l’apocalypse nucléaire n’a pas entraîné un retour en arrière sur le plan technologique comme il l’a fait sur le plan spirituel et politique. Sinon pas de croisade interplanétaire bien évidemment. François Baranger a concocté toute une palette de technologie au service de son aventure depuis la bio-informatique jusqu’au couteau à lame ionisé en passant par le saut Roehmer et le méca-percheron. L’amateur de SF-militaire sera ravi et il n’aura pas à craindre le discours militariste sous-jacent qui accompagne parfois ce genre.
En effet François Baranger ne peut être suspecté de fascisme comme pourrait le dire un gauchiste de base (excusez le pléonasme). Au contraire, il affiche des idées parfois un peu trop consensuelles lorsqu’il dépeint les Atamides, les habitants d’Akya, avec lesquels on est pas loin de retomber sur le mythe du bon sauvage vivant en harmonie avec leur environnement (En fait les Atamides ne sont pas idéalisés mais leur vie en harmonie avec leur monde est elle belle et bien évoquée). Il me semble aussi globalement peu favorable à l’institution ecclésiale, perçue un peu comme une gigantesque escroquerie, mais je laisse au lecteur le soin d’en apprendre plus.
Si je fais abstraction de la commune erreur de traduction du « ad majorem dei gloriam » où sont confondus comparatif latin et superlatif français, mais d’autres s’y sont déjà laissés prendre (cf Le moineau de Dieu), le seul point qui m’ait irrité dans la lecture de Dominium mundi - mais pas jusqu’à me ruiner mon plaisir puisque j’ai quand même avalé l’ensemble en une semaine dont le livre II en 3 jours -, réside dans la vision un peu caricaturale que l’auteur entretient sur le moyen âge. Certes il ne prétend pas avoir reconstruit celui-ci et donc certaines évolutions ou événements du livre peuvent ne résulter que du futur, mais on sent bien quand même que nombre de ces idées proviennent d’une certaine vision de l’époque médiévale. Ainsi l’idée fausse selon laquelle les hommes des seigneurs pouvaient tout se permettre toujours impunément, à commencer par passer à tabac le premier quidam dans la rue. Heureusement, François Baranger m’a épargné le mythique droit de cuissage. Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi la religion serait « l’inévitable corollaire d’une société féodale » [3]. Cela dit sa vision du moyen âge ne diffère guère de celles de nombre d’auteurs français ou non.
Stoppons là. Je ne me cache pas que j’ai plutôt apprécié la lecture de ce livre et suis heureux de voir qu’un auteur français peut apporter une touche culturelle à un genre quelque peu tombé en désuétude comme le space opera.