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Corpus prophetae
samedi 5 juillet 2014, par
Matt VERDIER
France, 2014
Mnemos, 424 p.
Alors que le XXIe siècle a vu la christologie évoluer brutalement avec la découverte des morceaux du corps du Christ et d’une abbaye cistercienne authentique en plein continent antarctique, en 2079, le Spatiotemporal Research Center (SPARC) se prépare à dépêcher, officiellement pour la première fois, un archéographe pour écrire la biographie du Christ avec l’accord du Vatican mais pas avec l’approbation de toute sa hiérarchie. L’homme choisi, Vincent Montalescot, trimbale par ailleurs un mal-être grand comme une montagne qu’il combat à dose de drogue. Ça ne pouvait pas bien se passer et cela ne devait pas bien se passer.
A quelques semaines d’intervalle, je me retrouve à lire deux livres aux titres latins, écrits par deux auteurs français débutants, qui parlent du Christ. La littérature française d’imaginaire se ferait-elle mystique ? Point du tout car Corpus prophetae, comme Dominium mundi, a plutôt propension à démystifier et baigne dans un léger bain anticlérical si l’on considère que les défauts de leurs personnages ecclésiastiques sont mis en avant. Le livre de Matt Verdier est cependant très différent de celui de François Baranger. Alors que ce dernier relève du space opera, le premier est à la fois un thriller (Mnemos, qui a récupéré le livre publié une première fois à compte d’auteur, l’étiquette comme tel), un roman d’histoire secrète et une histoire de voyage temporel. Si tous ces genres ont déjà été associés, c’est le plus souvent deux à deux, à l’instar de l’excellent Qumram d’Eliette Abecassis pour les deux premiers ou du correct Eclat de Dieu de Romain Sardou pour les deux derniers. Tous en même temps, ça fait beaucoup et je ne connais pas d’ouvrage qui ait tenté le coup, à l’exception peut-être du génial mais discuté Jésus vidéo qui le fait d’une manière bien particulière.
La diversité de genres aussi complexes font de Corpus prophetae un roman quelque peu baroque au sens premier du terme. D’autant plus que, au risque de déflorer un peu l’intrigue, l’auteur ne s’est pas cantonné au voyage temporel, au thriller ou au mystère ésotérique, il y ajoute la génétique et l’occulte. Il a donc les excès propres à ce style artistique. Matt Verdier a voulu se faire plaisir - il le dit clairement dans la postface - et en a rajouté. Les idées sont bonnes mais parfois excessives, à l’image du tueur pathologique équipé d’armes médiévales en plein XXIe siècle ou de l’abbaye polaire, complètement invraisemblable et qui aurait déjà pu à elle seule donner matière à un livre. En conséquent, elles ne sont pas toujours exploitées à fond. Ainsi il est fait tout un pataquès du tueur Gabriel, mais celui-ci a des retournement totalement imprévisibles parce que illogique.
Difficile par ailleurs de ne pas rattacher cette débauche d’idées à la culture populaire qui me semble l’avoir inspirée. Des manifestations de celle-ci apparaissent partout, dans les citations d’ouverture des chapitres tirées aussi bien de livres divers et variés, dont certains sont des classiques du genre comme L’Apocalypse selon saint Jean et d’autres plus incongrus comme L’Île au trésor, qu’empruntées à des célébrités, Sully Prudhomme et Rimbaud voisinant avec Kurt Cobain, qu’à des films comme 300 ou Matrix ou des paroles de chansons comme Sympathy for the Devil pour ne citer qu’elle, comme dans la trame de l’histoire qui emprunte beaucoup aux jeux vidéos. La diversité improbable des lieux dans lesquels sont dispersés les membres du Christ (sans parler du temps mis pour parvenir à ces lieux) rappelle les différentes étapes d’un épisode de Tomb Raider. C’est parfois un peu vain parce que l’histoire du livre n’est pas une course pour retrouver le corps du Christ.
J’irai même plus loin. Les références culturelles utilisées, outre l’inévitable ordre du Temple dès lors qu’il s’agit d’histoire secrète, relèvent du jeu vidéo et font planer un doute sur le travail de documentation de Matt Verdier. Ainsi en est-il de l’allusion inutile à Piri Reis - flibustier et cartographe ottoman dont j’avoue ne pas avoir eu connaissance, inculte que je suis - ou du rôle du pape Clément V, deux personnages qui sont évoqués dans un ou des jeux de la série Assassin’s Creed. Or cette culture, qui a du bon, ne semble pas toujours avoir été complétée par des recherches documentaires sérieuses.
Le livre souffre donc de multiples erreurs dont certaines m’ont agacé dès le prologue. Sans vouloir dresser la liste de ces perles, je citerai par exemple l’impossibilité pour l’inquisition de venir arrêter un professeur d’Oxford au XVIIIe siècle, le catholicisme, et encore plus la papauté, étant très mal vus en Grande-Bretagne à l’époque et l’évêque étant un anglican (notons que Matt Verdier n’a même pas pris la peine d’utiliser le nom réel du prélat de l’époque que wikipédia aurait pu lui fournir gracieusement) ou encore l’utilisation du terme Vatican dans ce même XVIIIe siècle, celui-ci n’existant pas avant les accords de Latran de 1929. Je pinaille ? Sans doute. Seuls les lecteurs dotés d’une culture historique un tant soit peu solide auront vu le problème. Quid alors de l’année zéro évoquée page 45 ? Quel relecteur n’a pas fait son travail en expliquant qu’une telle année n’existe pas et ne peut pas exister parce qu’on commence à compter à partir de un ? Théologiquement, le livre n’est pas exempt d’erreurs (une au moins). Outre que la découverte du corps du Christ a de quoi susciter un émoi dévastateur dans le christianisme puisqu’il y a eut Ascension, jamais l’Eglise catholique n’en parlerait comme étant le corps du prophète puisqu’aux yeux des chrétiens, Jésus est le messie, Dieu sur Terre. Seuls les musulmans parlent de Jésus comme d’un prophète. Patatras, le titre du livre s’effondre.
C’est encore du pinaillage ? Parlons géographie alors. Matt Verdier n’a-t-il pas pensé qu’en fournissant les coordonnées géographiques (GPS si vous préférez) de la cachette tant convoitée (p.261), un petit malin (moi, faut bien se décerner des fleurs de temps à autre) allait les rentrer dans google map et se rendre compte avec agacement qu’elles renvoient à un point situé près de la Mer morte alors que le chapitre situe l’action dans le massif de l’Anti-Liban, près du mont Hermon, soit plus au nord ? Je passe sur les étendues désertiques de terre rouge de l’Etat de Victoria en Australie, le plus densément peuplé et le plus arrosé des états australiens. On est bien dans un problème de rigueur. Tout comme l’impossibilité chronologique des trajectoires de plusieurs personnages en 2079. Le temps doit s’écouler plus lentement en Australie qu’ailleurs.
J’ai failli abréger ma lecture. Ce n’est pas que le livre soit mal écrit, bien au contraire, car, en dépit d’une étrange obstination de l’auteur de faire passer l’adjectif hiérarchique pour un nom commun qui me renforce dans mon interrogation sur le relecteur éditorial, il a un style dynamique, trépidant, tout en son et couleurs mais néanmoins très lisible qui s’avère meilleur - mais ce n’est pas dur - que son homologue Le Da Vinci code. C’est juste qu’à mes yeux, thriller, voyage temporel et histoire secrète se doivent d’être précis, rigoureux pour mieux être réalistes. En s’inscrivant dans les interstices de l’histoire, ils gagnent en richesse. Pas la peine d’en créer de nouvelles.
Il est de plus déjà assez difficile de maîtriser le fil d’une histoire de voyage dans le temps. Matt Verdier doit aimer la difficulté car il ne lésine pas sur les rebondissements qui ressemble parfois à des virages à 180°. Il faut lui reconnaître une certaine maîtrise de son récit qu’il finit quand même par perdre dans un final plus cinématographique que littéraire. Donc j’ai failli arrêter en cours de route sans pourtant que le livre me tombe des mains mais par pu agacement.
Mais je suis tombé dans la Brèche (p.101) et, en plus de tout cela, le livre est devenu uchronique (ce qui pourrait permettre à l’auteur de se justifier de ses erreurs et d’expliquer pourquoi il n’est fait allusion qu’au catholicisme comme si c’était la seule Eglise chrétienne existante). J’étais piégé, ferré et je voulais savoir, mais je gage que l’aspect uchronique en frustrera plus d’un. Alors je ne dois pas être trop dur (même s’il est trop tard pour le reconnaître) car pour un premier roman, c’est une assez belle réussite, peut-être tout simplement mal canalisée.