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Le Piège de Lovecraft
samedi 13 septembre 2014, par
Arnaud DELALANDE (1971-)
France, 2014
Grasset, 368 p.
Avec Le Piège de Lovecraft, Arnaud Delalande rend un hommage appuyé et virtuose à Lovecraft et au panthéon qu’il a engendré, tout comme avait pu le faire au cinéma L’Antre de la folie de John Carpenter. Le récit commence d’ailleurs de manière similaire, par le récit d’une personne enfermée dans l’asile d’Arkham, qui évoque les événements l’ayant conduit là. David Arnold Millow est un jeune universitaire québécois promis à une belle carrière, marié en outre à une charmante psychologue qui attend leur premier enfant. Il est toutefois hanté par le Necronomicon et le pouvoir qu’il est susceptible d’exercer sur ceux qui ont pu le lire. Lorsqu’il était étudiant, d’ailleurs, Millow a vu un de ses condisciples, Spencer Willett, commettre un carnage sur le campus avant de se donner la mort, et en cherchant à élucider les raisons de ce geste, il avait découvert une grange dont le sous-sol recelait des horreurs indicibles… Souhaitant consacrer sa thèse aux livres maudits, il se lance dans une véritable quête afin de découvrir ceux qui se cachent derrière le Cercle de Cthulhu dont faisait partie Willett. Une quête qui va tour à tour le conduire dans une reproduction de la Nouvelle France (belle image de la littérature comme faux semblant), sur un lieu de culte innommable fréquenté par les engoulevents, dans un pénitencier où est enfermé un individu ayant assassiné ses propres femme et petite fille, puis sur les traces de Stephen King et de Lovecraft lui-même, à Providence, où, grâce à l’aide d’August Derleth, il finira par comprendre la véritable nature des choses…
Le Piège de Lovecraft est d’abord la performance d’un fan, un amateur érudit de Lovecraft, qui met à contribution les riches créations de l’écrivain étatsunien, citant l’air de rien des titres de nouvelles au gré de sa prose, ainsi que des études sur son œuvre, mais qui sait également livrer des phrases ouvragées, typiques de l’univers cthulhien, et quelques belles fulgurances (« Enlivré vivant »). C’est aussi et surtout une entreprise métatextuelle totale, voire totalisante, qui s’interroge sur la nature de la fiction, l’imbrication avec le réel, et la frontière fragile qui sépare les deux domaines, comme un prolongement à son extrême de la philosophie post-moderne. Arnaud Delalande pousse même le vice jusqu’à céder (ironiquement ?) à la tendance au narcissisme que la démarche induit souvent, apparaissant en personne dans le livre, d’abord en tant que géniteur de Millow, puis en tant qu’objet du livre lui-même. Car en un jeu de miroirs sans fin, mise en abyme au sens étymologique du terme, le Necronomicon ou l’ouvrage qui en est la source est à la fois source et trou noir du mal, Lovecraft n’étant finalement qu’un réceptacle, et Internet démultipliant l’impact de la folie que Delalande semble attribuer à un matérialisme dénué de toute spiritualité (une vision que l’on ne peut s’empêcher de trouver réductrice), qui laisse face à face, dans une solitude mortifère, l’être humain et la vacuité de l’univers. Ainsi que son narrateur le déclare lui-même, « Qui était l’écrivain du monde ? » (p.196)