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Dimension système solaire

samedi 23 août 2014, par Maestro

Arnauld PONTIER (dir.)

France, 2014

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 402 pages.

ISBN : 978-1-61227-320-4

La collection Fusée de chez Rivière blanche sait surprendre son public, en proposant des anthologies aussi originales qu’attrayantes. Après un Dimension chevalerie chinoise, et en attendant Dimension écologies étrangères, voici donc Dimension système solaire, un épais recueil qui, ainsi que l’annonce l’anthologiste en ouverture, pourrait fort bien n’être que le premier volet d’une véritable série. Car il y a de quoi faire dans notre proche banlieue spatiale ! Pas moins de vingt-neuf nouvelles sont rassemblées, explorant la plupart des astres de notre système, avec quelques bonus, comme la comète de Halley ou Encelade, satellite méconnu de Saturne. L’ensemble s’inscrit dans une dominante space opera, faite de rencontre avec des extra-terrestres et d’aventures spatiales.

Dans « Marsification » et « Boomerang Bang ! », Phil Becker et Frédérick Guichen explorent tous deux un thème a priori éculé, celui de l’invasion martienne. Toutefois, si le second livre un texte habité par une paranoïa qui ne semble finalement être qu’un faux semblant, laissant le lecteur dans l’expectative, le premier parvient à créer une atmosphère pesante et brumeuse à souhait, non dénuée d’une certaine poésie, dans sa confusion volontaire entre Mars et la Terre, une Terre arrivée en bout de course sociétale. « Ahriman », de Bernard Leonetti, relève a priori davantage de la fantasy, mais on se laisse prendre à cette prose qui propose une variation sur certains mythes ancestraux mésopotamiens, non sans évoquer au passage Clark Ashton Smith en particulier. Sur une thématique également mythologique, Yann Quero signe avec « Le compagnon de Ganymède » une nouvelle plutôt originale, qui prend au pied de la lettre les patronymes des satellites de Jupiter pour réactiver la soif sexuelle de Jupiter.

Pour ce qui est de la Lune, Bernard Henninger, dans « Bagne de Qamdo », imagine une déclinaison sélénite du laogai, mais son intrigue, basée sur les interactions entre une taïkonaute en disgrâce et un Tibétain prosélyte, laisse subsister trop d’incertitudes et de silences, le dénouement étant également trop abrupt. Dans ce genre d’univers carcéral cosmique, « Marslag » de Meddy Ligner, qui mélange goulag martien et mythe de Cthulhu, est autrement plus efficace et direct, ce qui permet de passer rapidement sur les inconnus de ce qu’on devine comme une uchronie soviétique. Niko propose également un récit de bagne spatial avec «  Io, planète prison », mais outre un problème de crédibilité quant à l’installation sur une planète volcanique d’un pénitencier minier, son intrigue axée sur deux condamnées s’efforçant de fuir s’avère à la fois trop linéaire et excessivement aisée dans son résultat. «  Venus climax », de Marc Oreggia, partage des limites similaires à « Bagne de Qamdo », cette histoire suivant des lignes narratives plurielles, entre humains et androïdes, dont certains spécialement prévus pour la satisfaction des envies sexuelles des colons, et qui pouvait évoquer Blade Runner, se muant finalement en intrigue confuse et trop implicite.

Bien que très classique, « Un jour avec Igor », de Célia Flaux, situé également sur Vénus, s’avère plus séduisant, de par sa dimension d’hommage à l’âge d’or de la science-fiction étatsunienne. Classique également que « Le calcul plutôt que les sens », de Laurent Pendarias, une intrigue manquant par trop de surprise, axée sur les lois de la robotique et une menace d’anciens terroristes. Classique enfin que « La folie de l’espace », de Franck Cassilis, qui place le tournant de l’affrontement entre oligarchie spatiale et dissidence barbare sur Mercure. On lui préfèrera, dans le même cadre, l’étourdissant « La taupe  », de Lydie Blaizot, un huis clos dans une base terrestre sur Mercure, irrésistible dans sa confrontation d’égos… « Les entrailles de Charon » de Jean-Paul Raymond manque également de relief, dans sa description d’une planète-forme de vie symbiotique. Rodrigue Piberne, lui, nous décrit une variation sur Moby Dick avec « Sous les mers de Titan », un texte attirant sans atteindre à l’excellence. « Les tombeaux d’Uranus » de Sylvain Lamur est plus original, de par la forme de vie extra-terrestre qu’il met en scène sur Uranus, mais cette relation entre elle et les morts de la Terre souffre d’un certain manque d’explicitations. « Dawn » de Jean-François Bénat est également trop allusif, trop poussif aussi dans son développement d’une exploration sur Cérès et de la découverte d’artéfacts non identifiés. Quant à « Plutonique », d’Alex Hodieux, présenté sur un mode narratif un peu trop scolaire, il s’agit d’une nouvelle qui se présente tête bêche avec « La sortie n’est pas au fond de l’espace », d’Alain le Bussy (dans Le Rêve de l’exilé. Dimension Alain le Bussy). « La frontière », de Vyl Vortex, en est également très proche, principe d’une limite infranchissable à la périphérie du système solaire, mais qui connaît dans ce dernier cas une chute frappante, faisant pardonner le manque de précisions sur la nature exacte du garde-frontière.

Cédric Girard, dans « Planète mère », nous propose un récit très émouvant, celui du premier humain né autour de Jupiter, et qui ne parvient pas à trouver sa place suite à un traumatisme séminal, la perte de son astre de référence… Julie Subirana se rapproche également de cette veine touchante avec « Le scarabée de Neptune », fort de son thème de départ (l’impossible deuil de son enfant), de sa chute et de certaines de ses images fortes (ces scarabées qui reproduisent les pensées). Autre nouvelle parmi les meilleures de Dimension système solaire, « L’hubris » de David Mons. Là encore, le cœur en est une relation affective tragique, mais qui est transcendée par un cadre fouillé et convaincant, celui d’une société coloniale saturnienne très hiérarchisée et contrôlée, à laquelle s’opposent les courageux résistants de l’hérésie naturaliste. Voilà un univers dans lequel on aurait plaisir à se replonger, déclinaison convaincante de la lutte entre conservatisme et liberté. « Les enfants de Gaïa », de Cédric Burgaud, s’inscrit lui aussi dans l’optique d’une rébellion contre le système en place, mais les choses se déroulent ici d’une manière bien trop médiatique et évidente, fort peu crédible. « Nous, les captifs », de Julie Conseil, est une autre excellente nouvelle de l’anthologie. Basée sur le thème des vaisseaux générations, elle parvient à surprendre et à convaincre, dans ses portraits d’enfants voyages, et dans leur volonté de se réapproprier une liberté dont ils ont été arbitrairement privés. Enfin, « Rendez-vous avec Stella », de Gulzar Joby, suscite un fort intérêt, tant le cadre qu’il met en place se distingue par sa singularité. On assiste en effet à la vie dans un astéroïde de la ceinture de Kuiper, un mode de vie conservateur, voire réactionnaire à teinte religieuse fondamentaliste, qui s’oppose au reste du système solaire, plus libéral, et où les mariages se nouent dès l’enfance, afin de prendre en compte les années de voyage du prétendant…

Plus anecdotiques, «  Guide de voyage pour Mars » de Romain Dasnoy tourne en dérision le marketing publicitaire appliqué à la planète rouge, tandis qu’Arnauld Pontier, plus habitué à la littérature générale, livre avec « Un pont sur la Lune » une pochade sur une invasion extra-terrestre à base de pulsions sexuelles… « Non, mais allo quoi » de Bénédict Taffin est une autre nouvelle humoristique, première exploration humaine vers la comète de Halley subventionnée par une chaîne de télévision, qui court le risque, en collant trop au temps médiatique, par nature éphémère, d’apparaître très vite datée, et s’interrompt bien trop brutalement. Bien que léger et franchement absurde, « Du rififi dans la ceinture de Kuiper  », de Bruno Poschesci, séduit par son extension de la théorie de James Lovelock (devenu ici Loveclock, véritable caricature de Britannique traditionnel) à l’ensemble du système solaire. Sur un mode plus sérieux, « Les millions d’enfants de Phaeton », d’Anthony Boulanger, évoque l’hypothèse de corps astraux vivants (Gérard Klein le faisait déjà pour les étoiles dans Le Gambit des étoiles), ce qui lui permet de tracer un parallèle avec l’exploitation abusive de l’écosystème terrestre par une humanité décidément insatiable… L’ensemble, il est vrai pléthorique, présente donc un jour contrasté, mais la variété des traitements et la qualité de bien des textes vaut largement le détour.


Pour commander Dimension système solaire suivez le lien vers les éditions Black Coat Press !

Messages

  • Merci pour le commentaire, je l’ajoute à ma (courte) liste ;-)

  • Merci de cette lecture et de cette analyse fouillée. J’espère que cela donnera envie à d’autres fans de SF de lire cette anthologie... et qu’ils trouveront à la lire autant de plaisir que j’en ai pris à la mettre en place. Certes, il y a des textes qui ont ma préférence (même si je ne renie aucun choix)... Mais un coup de pouce à de jeunes plumes m’a semblé un devoir... d’avenir : certains auteurs de textes, certes perfectibles, portés par cet élan, nous pondrons peut-être, demain, des chefs-d’oeuvre. Je leur souhaite, confraternellement.

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