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La Vieille Anglaise et le continent et autres récits

samedi 11 octobre 2014, par Maestro

Jeanne-A DEBATS (1965-)

France, 2012

Gallimard, coll. "Folio", 400 p.

Jeanne-A Debats est une auteure confirmée des littératures de l’imaginaire en France, qui a prouvé qu’elle était à la fois une talentueuse écrivaine pour la jeunesse, mais aussi une créatrice attachante pour les adultes (citons seulement sa participation à l’exercice collectif jubilatoire d’Un An dans les airs). Ce recueil de nouvelles, qui reprend celui paru chez Griffe d’encre, Stratégies du réenchantement en l’enrichissant, permet d’avoir un aperçu relativement complet de la palette de l’auteure, souvent attachée à une gémellité aussi simple que difficile à illustrer sans complaisance : la beauté et l’amour.

Le texte qui a donné son nom à l’anthologie, et qui séduit d’emblée par son titre aussi énigmatique que poétique, est assurément un de ceux ayant obtenu le plus de prix (pas moins de quatre !). Il faut dire que cette histoire d’une riche anglaise en fin de vie, ancienne combattante d’une écologie radicale, qui accepte que son esprit soit transféré dans le corps d’un cachalot, a tout pour séduire : une empathie profonde pour les cétacés marins, des visions féériques d’un paradis animal, une histoire d’amour singulière entre Ann, l’anglaise du titre, et son ancien élève Marc, devenu le coordonnateur de son transfert ; sans oublier le message du texte, qui est à la fois critique de l’extermination des baleines et méfiance vis-à-vis d’une science sans conscience (vous avez dit pléonasme ?). Rien qu’avec ce récit, la sensibilité et la finesse de plume transmises par Jeanne A-Debats sont tangibles.

« Paso Doble » prend place dans le même avenir proche, mais le procédé de la transmnèse est ici mis en scène dans une histoire de corrida, ce sport étant remis au goût du jour dans le même temps où le réchauffement climatique a placé une partie de l’Espagne sous les eaux ; Jeanne-A Debats y déjoue les positionnements simples, car elle semble implicitement saluer la dimension artistique de la corrida… « Aria Furiosa » est un autre texte à l’esthétisme léché, et qui possède bien la marque distinctive de l’auteure, celle de l’originalité de traitement pour un sujet classique. Ce sujet classique, c’est ici l’occupation allemande de la France durant la Seconde Guerre mondiale. Jeanne-A Debats l’envisage sous l’angle d’un chanteur d’opéra, dernier castrat, contraint de donner une représentation devant Rommel pour éviter la déportation de sa servante juive, et qui se sert de son art comme d’une arme… Là encore, comme dans « La Vieille Anglaise et le continent », on trouve une histoire d’amour impossible, et une prédilection pour la transgression, l’homosexualité en l’occurrence, littéralement taboue devant l’officier SS de l’intrigue.

Avec « Saint-Valentin », c’est la dimension la plus subversive et la plus cocasse de l’auteure qui est privilégiée. On a ici affaire à rien moins que la vie de couple d’une ancienne enfant-soldat avec un sérial-killer, dont l’élément féminin profite de la détention dans son frigo d’un nain particulièrement petit pour lui soutirer un vœu, celui d’une vie « normale »… vie dont elle se rend rapidement compte de l’ennui et qu’elle cherche à fuir à tout prix. Ou comment l’anti-conformisme est célébré par le retournement ironique de l’horreur et du merveilleux. La perspective de l’embrasement nucléaire est un thème qui semble hanter Jeanne-A Debats, car on le trouve dans pas moins de trois nouvelles. « Gilles au bûcher » fait partie de ces variations vampiriques qu’affectionne l’auteure (souvenons-nous de « La fontaine aux serpents » dans Utopiales 2013), le dit Gilles, assez aisé à identifier pour tout dire, étant le seul survivant du futur, et devenant par rejet de la solitude le patriarche d’une communauté croissante d’humains… Où l’interrogation sur ce qu’est être humain est au cœur de l’écorce de ce récit post-apocalyptique. « Nettoyage de printemps » est plus court et aussi plus cinglant, une façon de supprimer toutes les nouvelles antérieures, et, comme dans le premier texte du recueil, de sauver définitivement -et presque totalement- la nature extra-humaine.

L’excès n’est pas toujours évité, reconnaissons-le, comme dans « Privilège insupportable », une dystopie qui évoque aussi bien La Cité des asphyxiés que Silo (alors non encore paru), mais où on peine à comprendre en profondeur (sic) l’obsession du personnage principal, ainsi que l’inceste qui lui est indissolublement lié… De même, j’avoue ne pas complètement adhérer aux « Stratégies du réenchantement », extrapolation de l’épidémie de SIDA, en laquelle s’incarnent les pires craintes d’exclusion et de mise à l’écart des malades ; cette pandémie croissante est vue à travers le problématique échange de sentiments entre un père, volontairement misanthrope, et sa fille, le premier faisant le choix du pire afin de pouvoir partager l’amour filial… Mais ce ne sont là que quelques constats plus mitigés, qui n’entament en rien le plaisir de la lecture et la finesse de la prose. Et quand l’ambition se fait démesure, comme dans « Fugues et fragrances aux temps du Dépotoir  », il n’y a plus qu’à se laisser emporter sans réagir, fasciné que l’on est par cette vision d’une station spatiale perdue au fin fond de l’espace, refuge des vagabonds, des laissez pour compte et des marginaux de tous poils, dans laquelle les lois physiques sont aussi libres que sous la plume d’un Borges. Jeanne-A Debats y prouve qu’elle sait aussi apprivoiser la hard science, une de plus parmi les chimères de l’imaginaire…

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