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Rétro-fictions

samedi 4 octobre 2014, par Maestro

Anthologie

France, 2014

ImaJn’ère, 302 p.

L’association ImaJn’ère a pris l’habitude de publier chaque année une anthologie de nouvelles inédites sur un sujet précis. Il y a deux ans, c’était l’uchronie qui était au cœur du bien nommé U-Chroniques, dont nous avions rendu compte. Cette année, le sujet était plus large, puisqu’il était demandé de mettre en scène une histoire « (….) se déroulant entre 1851 et 1949 ». Le résultat mêle pas moins de seize textes, certains d’auteurs confirmés ou déjà connus, d’autres des lauréats du concours qui avait été lancé par l’association sur ce thème.

Jeanne A-Debats ouvre le bal avec « Sempervirens », une histoire profondément touchante, humaine, qui, à travers le traumatisme vécu par les soldats de la Première Guerre mondiale, ose le tabou de la relation amoureuse homosexuelle, passée à travers le filtre d’une atmosphère délicieusement fantastique, avec cette boutique baroque tenue par une étrange demoiselle. « La garde rouge » d’Arnaud Cuidet est un autre très bon texte, qui prend place en plein cœur de la Commune de Paris. Ici, pas de vision dépréciative à la Jean-Philippe Depotte (Le Crâne parfait de Lucien Bel), mais une forte empathie pour les communards, qui inaugurent une uchronie prometteuse, grâce à la découverte d’un atelier passé en coopérative recelant les plans d’une mécanique impressionnante. Le combat entre la Garde rouge et son alter égo, le Versaillais, ne sont pas sans évoquer les robots géants japonais, et on en demande plus, en particulier sur l’origine de cet élément steampunk. Certes, une relative naïveté est perceptible, que ce soit dans l’avenir purement radieux qui s’ouvre alors ou dans la bigarrure un peu trop prononcé des personnages (une féministe, une noire…), mais l’esprit qui souffle sur ce texte est franchement revigorant. Autre petit bijou, « L’invasion des hommes-taupes », signé Jean-Luc Boutel. Cette nouvelle est la suite de Sérénade sélénite, écrite par le même pour Le Carnoplaste. On retrouve donc Sélénex, super-héros faillible, confronté à un savant diabolique et à une série d’enlèvements perpétrés par la voie souterraine. Enlevé, « L’invasion des hommes-taupes » est un régal pour les amateurs de merveilleux scientifique, car non content d’avoir à son casting nombre de figures célèbres, Jean-Luc Boutel nomme ses parties en hommage à des œuvres du genre. On n’est pas très éloigné de l’univers de La Brigade chimérique, le club des Savanturiers (sic) répondant au club de l’hypermonde. La nouvelle de Jérôme Verschueren, est une autre suite d’une série débutée chez Le Carnoplaste, celle de Béla Bartok, musicien le jour et super-héros la nuit. Après Béla Bartok contre la veuve noire du führer, voici donc « Le chevalier noir  », qui voit Bartok et son acolyte Black Becky exorciser la douleur d’un enfant et ce faisant, participer à l’essor d’un des héros de comics les plus connus. Son originalité, ce texte la retire surtout de sa composante musicale, rythmes et mélodies devenant des armes (jusqu’à cette pseudo musique dégénérée, mortelle pour les nazis !). Artikel Unbekannt nous emmène pour sa part du côté du Japon, celui de la marche à la guerre, et il le fait via un triangle amoureux qui n’a rien de banal, entre une institutrice rêvant de maternité, un fonctionnaire fanatique des SS et un yakusa habité par la violence. Fort de ses images poétiques et oniriques, « Japon, année zéro » est une belle métaphore sur le traumatisme de ces années de sang et de douleur. Les « Marionnettes » de Julien Heylbroeck, ce sont des survivances d’un âge ancien, qu’un agent du NKVD, assisté de deux policiers, s’efforce de faire disparaître, le tout sur fond de résolution d’un meurtre particulièrement sanglant dans le contexte de la Grande Terreur. Une simple et jolie réussite. « La porte bleue  », de Brice Tarvel, est davantage une pochade centrée sur la librairie de l’association ImaJn’ère, Phénomène J, dont le passé présenté ici est fait de portes temporelles et de vélociraptors en vadrouille dans les rues d’Angers. Distrayant. Avec Robert Darvel, le même livre un autre texte humoristique, «  La machine à explorer Baker Street », dont les deux auteurs sont les protagonistes, projetés dans le passé grâce à un canapé quantique, ce qui leur permet de rencontrer leur idole, Harry Dickson. Réjouissant !

En ce qui concerne les lauréats du concours d’écriture, la gagnante, Sylvie Jeanne Bretaud, ne me convainc pas vraiment avec « L’ombre de Whitechapel  », une évocation des crimes de l’éventreur somme toute assez classique, en dehors de l’identité de l’assassin (posant un problème de crédibilité, les analyses ayant conclu à un individu doué d’une force physique conséquente) et de la chute, dévoilant la nature de la narratrice, une révélation qui n’est pas vraiment exploitée. « La tour », de Léon Calgnac, est plus sympathique, avec ses naufragés de l’espace cherchant à communiquer vers leurs semblables via une tour métallique géante… Dans cette nouvelle se déroulant en 1867, on croise Charcot, présenté à tort comme l’inventeur du terme hypnose (celui-ci avait été imaginé près d’un demi-siècle plus tôt), et les éléments non développés se justifient surtout par le caractère humoristique de ce texte. Le plus étonnant, c’est que dans le même recueil, «  L’empereur, le préfet et l’ingénieur », de Patrice Verry, aborde exactement le même sujet, celui de naufragés de l’espace cherchant à communiquer avec leurs semblables… De même, « Ecarlate était le ciel » d’Anthony Boulanger est une belle uchronie, dont le héros est le mythique baron rouge ; mais dans cette temporalité alternative, la Première Guerre mondiale a été remplacée par une lutte sans merci contre des entités venues d’un ailleurs non identifié, et certaines images ou certains passages frappent le lecteur (la pluie de sang, les noms de tous les morts mémorisés et scandés en hommage par von Richthofen). «  La rouille », de Jean Bury, est une variation sur Pasteur et son vaccin contre la rage, transférés ici dans un univers steampunk, déjà confronté à l’opposition entre machine et biologie. Bruno Baudart, avec « La rose blanche », livre un texte extrêmement bien écrit, la forme puissante, celle d’une perte jamais surmontée, n’étant pas vraiment égalée par le fond, celui de la lutte contre un pouvoir totalitaire (celui de l’Allemagne nazie, puis de la RDA, non sans quelques erreurs, comme une Stasi qui n’existait pas encore en 1949). Jean-Hugues Villacampa, président de l’association ImaJn’ère et également lauréat, livre un bref récit policier, « Drôle de poulet », qui présente la particularité d’imaginer un meurtre en plein rituel de dégustation d’ortolans…

Parmi les nouvelles plus décevantes, il y a surtout « OYAPOC 1902 » de Francis Carpentier. Le cadre -la Guyane du début du XXe siècle-, le contexte géopolitique -rivalités territoriales entre la France et le Brésil- et la truculence de certains termes locaux étaient pourtant prometteurs, mais l’histoire est malheureusement d’une confusion telle, avec sa profusion de personnages, qu’elle en perd toute clarté. Mais fort heureusement, il s’agit là d’un cas relativement isolé, qui n’obère en aucune manière le caractère haut de gamme de cette anthologie.

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