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Un Homme contre la ville et autres récits sur la ville
samedi 25 octobre 2014, par
Christian GRENIER (1945-), dir
France, 1981
Gallimard Jeunesse, coll. "Folio Junior Science Fiction", 166 p.
Une fois n’est pas coutume, c’est sur une série d’anthologies réalisées à destination de la jeunesse que nous nous pencherons le temps de plusieurs critiques. L’explication en est simple : cette jeunesse, nous en fîmes partie, et plusieurs titres de cette collection, orchestrés par Christian Grenier, infatigable défenseur de la science-fiction, nous ont laissé un souvenir profond. Lorsque l’occasion nous fut donc offerte de pouvoir en découvrir d’autres, que nous avions à l’époque négligés, nous n’avons pas hésité.
Titre inaugural d’une série de douze, Un Homme contre la ville… apparaît particulièrement symbolique de la marque politique qui fut celle des longues années 68 en France. On y trouve en effet une sélection de nouvelles très critiques à l’égard du modèle urbain et sociétal, celui des sociétés industrielles, et plus particulièrement de la société de consommation qui s’imposa durant les « Trente Glorieuses ». Ainsi que le déclare avec justesse Christian Grenier dans sa préface, « La science-fiction ne se veut que rarement prophétique. Elle se contente le plus souvent de disséquer, puis de grossir les petits ou les gros travers de nos sociétés contemporaines. » [1]. L’individualisme et le conformisme sont ainsi brocardés dans « L’Arriéré » de Ray Bradbury (également aux sommaires des Pommes d’or du soleil et Histoires de rebelles), touchante évocation d’un individu qui s’imagine encore pouvoir vivre en dehors de sa bulle domestique, et dans « Les Villes » de Gérard Klein, où chaque ville est devenue exclusive des autres, avec lesquelles elle est d’ailleurs en conflit ; l’étranger, qui doit seulement être annihilé, peut dès lors être n’importe qui, Gérard Klein critiquant ce faisant la délégation de pouvoirs croissants aux machines... La nouvelle éponyme de Robert Abernathy (qui figure à la fois dans Histoires mécaniques et dans le second Librio de Jacques Sadoul sur Une histoire de la science-fiction) évoque elle aussi, tout en finesse, cette autonomisation de la ville, devenue ici entité à part entière, intelligence collective, sorte de Singularité avant l’heure.
Alain Duret, avec « Hip, hip, hyper », écrit spécifiquement pour cette anthologie, manque par contre sa cible, de par une absence flagrante de cohérence interne dans son récit : cette famille qui élit finalement domicile dans les rayons d’un supermarché, en ayant le droit de consommer tout ce qui n’est pas emporté au-delà des caisses, laisse inexpliqué la façon dont la chaîne de magasins peut s’y retrouver financièrement parlant, ce cas étant bien sûr appelé à faire école. La dénonciation de l’aliénation consommatrice méritait mieux. C’est un peu le même type de reproche que l’on peut adresser à Evelyn E. Smith, qui dans « Une journée en banlieue » (inclus dans Histoires de l’an 2000), cristallise les écarts entre classes sociales en de véritables affrontements suburbains, où le sentiment d’identification grégaire illustre une fois de plus la critique d’un anti-universalisme mortifère. Pour la thématique de la surpopulation, largement explorée à cette époque (Tous à Zanzibar, Les Monades urbaines, etc…), deux textes la déclinent, non sans une certaine impression de redondance. « Billénium » de J.G. Ballard décrit les conséquences d’une croissance démographique accélérée et continue, avec l’extension exponentielle du tissu urbain et la réduction inéluctable de l’espace vital de chacun. « La course au lopin de terre » de Robert Sheckley est surtout l’occasion d’un parcours aventureux au cœur d’un New-York sauvage, dont on se demande d’ailleurs comment ses habitants parviennent à survivre dans un univers où non-droit et droit cohabitent miraculeusement, dans un équilibre peu crédible.
L’autre nouvelle de Ray Bradbury, « La Ville », est celle qui frise le plus le hors-sujet : proche en apparence de « Un homme contre la ville », elle relate avant tout une histoire de vengeance extra-terrestre, ou comment la guerre et l’éradication de l’ennemi contient en elle des promesses de violence cyclique et sans fin ; la ville, dans ce contexte, n’est qu’un vecteur.
[1] (p.16)