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Utopiales 2014
samedi 13 décembre 2014, par
Jérôme VINCENT, dir.
France, 2014
ActuSF, coll. "Les Trois souhaits", 2014,
Dominique DOUAY, Laurent GENEFORT, Dmitry GLUKHOVSKY, Léo HENRY, K. W. JETER, Jean-Marc LIGNY, Sylvie MILLER, Philippe WARD, Michael MOORCOCK, Barbara SADOUL, Jo WALTON, Sylvie DENI
Pour la sixième année consécutive, les éditions ActuSF proposent l’anthologie officielle du festival des Utopiales à Nantes, et avec le temps, deux constats s’imposent de plus en plus clairement : une tendance à l’inflation quantitative, mais également une qualité d’ensemble assez remarquable, qui fait oublier pour l’essentiel le travail antérieur de L’Atalante. Pour cette année 2014, c’est la thématique des intelligence(s) qui avait été retenue, une thématique qui, disons-le, est suffisamment vaste pour autoriser bien des explorations, qu’elles soient tournées vers le grand espace et les hypothétiques extra-terrestres ou orientées vers nous-même et les mutations engendrées par la croissance exponentielle du numérique.
« Chaperon », de Laurent Genefort, est une savoureuse mise en bouche, qui pourrait parfaitement servir de point de départ à un véritable roman. L’écrivain imagine en effet une galaxie peuplée de nombreuses espèces extra-terrestres (comme dans ses Points chauds), qui s’interrogent quant à la succession des civilisations interstellaires au fil du temps. La découverte d’interventions visant à préserver l’existence du maximum d’entre-elles face aux accidents cosmiques contingents leur fait prendre conscience de la présence d’une entité aux dimensions galactiques, dont chacune des dites civilisations constituerait un élément du système nerveux… Une vision fascinante, incarnation plus charnelle de la fameuse Singularité, ou nouvelle déclinaison de l’idée de divinité, et qui ouvre sur une conception gigogne de notre univers. Jean-Marc Ligny, autre français de l’étape, privilégie lui aussi une veine très space opera dans « L’esprit de la roche » : dans un avenir lointain, une expédition de quatre humains est en effet chargée par l’espèce extra-terrestre la plus avancée de toutes de solutionner une énigme localisée sur une planète déserte d’un système a priori inhabité. La résolution de l’affaire est un agréable croisement entre les formes de vie imaginées en son temps par Rosny aîné et la thématique plus que jamais d’actualité de la panspermie, mais l’ensemble apparaît finalement un peu trop sage, malgré sa dimension finale aux accents universels.
Jo Walton, auteur de Morwenna, roman référentiel s’il en est, se penche avec « En sommeil » sur la capacité de recréer des personnalités du XXe siècle sous forme de simulation informatique. Bien que ne faisant qu’explorer les potentialités de son sujet, il est appréciable de découvrir un texte engagé, qui ose envisager des perspectives révolutionnaires, socialistes qui plus est. Les années 2060 qu’il nous présente sont en effet clairement dystopiques, dominées par un néo-libéralisme exacerbé, ce qui pousse une jeune auteure de biographies de référence à réaliser celle de Matthew Corley. Et c’est la simulation de ce dernier, dont elle a découvert le passé masqué, qui lui donnera des clefs pour commencer la lutte contre le Big Brother numérique mis au service des puissants… L’auteur russe Dmitry Glukhovsky, rendu célèbre par son Métro 2033, en livre ici une vision alternative avec « L’évangile selon Artyom ». Il s’agit visiblement d’un renversement total de perspectives, Artyom, héros du roman, se livrant comme jamais, au point de changer la perception des noirs, les fameux mutants qui menaçaient les communautés humaines. Derrière, se dessine un traditionnel appel à la compréhension de l’autre, en lieu et place de la méfiance et de l’enfermement. Pour rester dans ces visions d’un futur relativement proche, Sylvie Denis se fend d’un texte aux considérations intéressantes. « Le court roman de la momie », bien qu’imaginant l’improbable réveil d’une momie de la route de la soie, interroge le lecteur par sa réflexion sur un type d’intelligence éminemment dominatrice et par son tableau fouillé d’un mitan de XXIe siècle ayant appris à faire avec le réchauffement climatique.
Léo Henry signe pour sa part un texte toujours difficilement classable avec « Fe6 !! ou La Transfiguration de Bobby J. Fischer ». Se saisissant d’un personnage réel, le champion d’échec étatsunien Bobby Fischer, il en fait le point de convergence de multiples fils narratifs, à la façon d’un Patrick Deville allumé. Le jeu d’échecs prend ici de nombreux sens métaphoriques, centrés toutefois sur les coulisses de la guerre froide, celles qui ont vu les Etats-Unis se livrer à des expérimentations discutables ou douteuses afin de damer le pion au pseudo « empire du mal », croisant paranormal et informatique, théories du complot et génie fou. Un texte riche, qui donne l’envie d’être relu et analysé à maintes reprises… Quant à Sylvie Miller et Philippe Ward, ils ajoutent une pierre supplémentaire aux aventures débridées de leur détective divin, Lasser. Dans « Le sage qui entre dans la paix », l’on découvre que l’intelligence peut être fort mal employée… La thématique choisie, celle d’une possible opposition aux menées des dieux, est fructueuse, et la résolution de l’intrigue résonne comme un hommage à Fritz Lang et Serge Lehman.
Certains textes, bien que de qualité, semblent entretenir un lien plus ténu avec la problématique choisie. Michael Moorcock, que l’on ne présente plus, est présent par « L’affaire du bassin des Hivers », une nouvelle précédemment publiée dans Les Compagnons de l’ombre 2 (chez Rivière blanche), qui prend place dans le fameux multivers. C’est un Paris alternatif assez magnétique qu’il nous présente, où le quartier situé à côté du Cirque d’hiver dissimule des voies d’eau labyrinthiques, et dont certains habitants sont des alter-égo d’Elric de Melniboné et de Véra Pym, la célèbre chef du gang des Vampyres. Un texte très référentiel, où se croisent les ombres de la famille Von Bek et de Jerry Cornélius… La nouvelle de K. W. Jeter, intégrée a posteriori dans le recueil, peut aussi sembler quelque peu déplacée. « Dernières volontés », publiée originellement dans Eros Millenium, anthologie coordonnée par Jean-Marc Ligny chez J’Ai Lu, semble être de prime abord assez lourde et fatigante, du fait de ses personnages italiens à la verve aussi intarissable qu’agaçante. Néanmoins, la chute du texte oblige à porter un regard attendri sur les relations père-fille, et sur l’amour qui peut revêtir bien des apparences.
De rares nouvelles nous semblent par contre moins convaincantes. Dominique Douay, pourtant auteur remarquable dans les années 70 et 80, propose « Pas de deux sur la planète des ombres », une histoire d’expédition sur une naine noire dont le noyau réside dans la relation entre les deux prospecteurs spatiaux, idylle homosexuelle non partagée au débouché dramatique : un texte qui donne l’impression de tourner quelque peu à vide. Quant à Barbara Sadoul, si elle s’essaye au théâtre dans « Les Dracula anonymes », son texte est bien trop bavard et étiré, sorte d’hommage à Bram Stoker dans lequel Oscar Wilde joue le rôle du jaloux mégalomane.