Avril 1915 - Les Dardanelles

Scénario : Xavier DORISON (1972-)

Dessin & couleurs : Enrique BRECCIA (1945-)

Delcourt, 2014, 66 p.

Après la reprise de la série dans Avril 1915. Ypres, ce quatrième épisode prouve la vitalité retrouvée des Sentinelles, sans doute vivifiées par le centenaire de la Première Guerre mondiale, et un cinquième tome, Octobre 1915. Paris, est d’ores et déjà annoncé.

En attendant, nous bénéficions avec cette nouvelle aventure d’un changement bienvenu, puisque l’action se déroule ici sur un front plutôt méconnu (et particulièrement bien présenté), celui qui oppose les forces de l’Entente à celles de l’empire ottoman, à la charnière de l’Europe et de l’Asie. Face aux trois super-héros désormais familiers, Taillefer, Djibouti et le Merle, les Allemands ont élaboré un successeur à Übermensch, en la personne de Cimeterre.

Disons-le d’emblée, cette figure est moins charismatique, moins puissante également que ce que l’on aurait attendu, d’autant que les lance-flammes qui l’équipent résonnent comme en écho aux gaz du tome précédent (ils furent utilisés par les Allemands à partir de 1915). Le principal intérêt de l’album, c’est plutôt l’insistance mise sur une guerre de positions aussi meurtrière qu’inutile, dans des conditions qui changent du traditionnel front occidental : les maladies font ici des ravages, renforcées par le manque d’eau et de nourriture, et bien qu’épaulés par de super-soldats, les forces de l’Entente, majoritairement anglophones, sont contraintes de battre en retraite.

Les super-héros de Dorison et Breccia sont bien à échelle humaine, incapables qu’ils sont de renverser le cours de la guerre que l’on connaît, et même de préserver des vies individuelles, à commencer par celle de cette Arménienne qui vient témoigner du génocide de son peuple (dont le scénario suppose un peu audacieusement qu’il aurait pu être enrayé en cas d’offensive plus massive de l’Entente). La vision de Taillefer arborant un drapeau blanc contraste ainsi furieusement avec le même déployant un drapeau tricolore dans le premier tome de la série. On pressent alors un possible retournement de Taillefer contre la caste des officiers responsable parmi d’autres de cette gigantesque boucherie qu’il a fait semblant d’accepter pour mieux croire qu’il pouvait la supporter, et qui échoue à se reconstituer une famille de coeur…

Sur le plan graphique, on retrouve l’incorporation dans les cases habituelles de certaines photographies d’époque, et ce sont surtout certaines scènes de combat qui marquent, celle du débarquement des pages 10-11, de l’assaut de la falaise par Taillefer, ou la métamorphose de l’action des Sentinelles par la propagande en toute fin d’album.