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Les Derniers jours du paradis
samedi 14 février 2015, par
Robert Charles WILSON (1953-)
Canada, 2013, Burning Paradise
Denoël, coll. "Lunes d’encre", 2014, 352 p.
Désormais bien installé dans le paysage éditorial français, Robert Charles Wilson voit le reste de son œuvre passé éditée -ainsi du recueil de nouvelles Les Perséides au Bélial’- et ses nouvelles créations sortir à peu de temps d’intervalle en Amérique du nord et en France. Après Julian (édité en poche en cette rentrée 2014), voici donc Les Derniers jours du paradis, gage d’un plaisir de lecture certain, que l’on déguste comme un vieux nectar, celui capable de nous évoquer des souvenirs émus, un temps passé et à jamais perdu...
Roman indépendant, cette uchronie présente une Terre ayant en apparence échappé aux principales horreurs et convulsions du XXe siècle. 1914, dans cette réalité historique autre, n’est pas le signal du début d’une gigantesque boucherie, mais l’armistice ayant ouvert sur un siècle de paix sans nuages, ou presque. Le progrès technologique s’en est trouvé sensiblement ralenti, et la violence habituelle, celle des meurtres inhérents à toute société, réduite de manière drastique. La cause de cette évolution pacifique semble résider dans l’existence d’une couche entourant la planète, la radiosphère, servant de relais aux ondes radio ou télévision, qui est surtout dotée de vie. A tel point qu’une société secrète s’est constituée afin de l’étudier et de s’opposer à elle. La Correspondence Society a en effet découvert que cette entité, baptisée l’Hypercolonie, bien qu’ayant une conscience programmée similaire à celle d’une fourmilière, est capable de générer des faux êtres humains, les simulacres ou sims. Toutefois, en 2007, la Correspondence Society a subi de lourdes pertes, une série d’attentats ayant été commandités par l’Hypercolonie.
Parmi les victimes, les parents de Cassie et Thomas. Tous deux ont été alors pris en charge par leur tante, mais le jour où Cassie, âgée depuis peu de dix-huit ans, aperçoit par la fenêtre un simulacre semblant vouloir les assassiner, elle décide de prendre la fuite avec son jeune frère, en compagnie de Leo, fils du leader de la Correspondence Society, et de sa petite amie Beth. Parallèlement, l’intrigue suit Ethan, l’oncle de Cassie, confronté à un simulacre affirmant qu’il émane d’une autre forme de vie, concurrente de l’Hypercolonie… Les deux trames permettent de pénétrer bien en profondeur les vies des différents protagonistes (y compris Drowd, mécanicien engagé par Werner Beck en tant que soldat de sa future armée). Lorsqu’elles se rejoignent, autour du désert d’Acatama, qui semble servir de lieu de reproduction pour l’Hypercolonie, en une variation sur la panspermie, tout s’accélère, et tout se brouille, car la paranoïa est redoublée par la possibilité que n’importe quel humain en apparence ait en réalité été fécondé par l’entité extra-terrestre…
On retrouve avec Les Derniers jours du paradis l’idée d’une Terre enclose, comme dans Spin, celle d’une couche atmosphérique supérieure (dans la nouvelle-titre Les Perséides), et un thème cher aux années 1950, celui de l’agression venue du fin fond de l’espace. Les Derniers jours du paradis reprend en effet, en forme d’hommage, bien des éléments de ces invasions extra-terrestres si fréquentes dans les premières décennies de la guerre froide, Marionnettes humaines de Robert Henlein, les romans de John Wyndham (un des scientifiques cités dans le livre de Robert Charles Wilson porte d’ailleurs ce nom) ou la série Les Envahisseurs, qui ont dû occuper une partie du temps libre de l’auteur durant son enfance.
Etonnamment, ce traitement rapproche aussi le roman du merveilleux scientifique français, celui du Péril bleu ou des Signaux du soleil, et de cette tendance à la nostalgie pour un XXe siècle qui aurait pu être autre, la même qui est source du courant steampunk ou rétrofuturiste. Loin de tout manichéisme, l’intrigue interroge sur la liberté : est-il préférable de vivre en symbiose avec un organisme globalement bienveillant et connaître la paix, au risque d’un certain ennui, ou vaut-il mieux s’en émanciper, pour se saisir à pleines mains d’un libre-arbitre potentiellement générateur du pire ? On reconnaît ici la problématique d’un des premiers romans de Philippe Curval, Le Ressac de l’espace…