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La Vengeance de Jaurès

samedi 7 mars 2015, par Maestro

DESSIN : Gaël SEJOURNE

SCENARIO : Fred DUVAL (1965-), Jean-Pierre PECAU

Couleurs : Jean VERNEY

Delcourt, coll. "Néopolis", 2015, 54 p.

Voilà un album qui s’intéresse de près à la politique, plus précisément à l’histoire du mouvement ouvrier, comme ce fut déjà le cas du diptyque Septembre rouge / Octobre noir. L’action se déroule principalement en 1930, avec une série de retours en arrière. Elle est centrée sur un ancien combattant de la Grande Guerre, membre des redoutables corps francs, qui a décidé de venger Jaurès, assassiné à la veille du conflit par Raoul Villain, ce dernier ayant été finalement jugé et acquitté en 1919.

Si l’album s’ouvre par la mort de Villain, point de divergence d’avec notre réalité, la suite permet à la fois de découvrir le passé de l’exécuteur et de suivre ses différents meurtres via l’enquête menée par la Sureté parisienne. C’est d’ailleurs cette dimension policière qui est au cœur de cet épisode, avec des clins d’œil appuyés à Simenon, mais surtout à quelques acteurs français, Bernard Blier et Jacques Villeret, qui prêtent leurs traits à certains personnages des forces de l’ordre. Politiquement, par contre, et malgré le parrainage de Gilles Candar, biographe de Jaurès qui se fend d’une courte postface, les choses sont nettement plus discutables. Certes, il y eut bien, au sein de la fédération socialiste de Corse, une motion votée en 1919 et appelant à venger Jaurès. Mais ce fait resta totalement isolé, et surtout sans lendemain ni traduction concrète, d’autant que son initiateur, Louis Costa, demeurera avec la majorité de l’ancien Parti socialiste, autrement dit avec le PCF, et non la SFIO.

Car dans le scénario imaginé par Fred Duval et Jean-Pierre Pécau, l’assassinat de Raoul Villain est proposé par Marceau Pivert et approuvé par la quasi-totalité du comité directeur de la SFIO -à l’exception de Léon Blum-, alors qu’il s’agit là d’une action en totale contradiction avec les fondamentaux idéologiques et les habitudes militantes de l’organisation socialiste ; aucun élément de divergence par rapport au déroulement historique que l’on connaît ne vient d’ailleurs le justifier. Quant à Pivert, il est présenté comme ayant des liens avec les « trotskystes » français, alors qu’à cette époque, il est au contraire favorable à une unité d’action avec les communistes officiels, autrement dit les « staliniens ». Ce n’est qu’avec les événements de 1934, 6 février, émergence du front unique et entrée des trotskystes français (que l’on appelait plutôt à l’époque « bolcheviks-léninistes ») dans la SFIO, que le rapprochement s’enclenchera, Pivert ayant toutefois constamment gardé ses distances avec le trotskysme pur et dur (un portrait de Trotsky orne pourtant son bureau dès 1930 !).

Le dénouement de l’histoire décline la thématique classique de la politique politicienne prenant des libertés avec la police et la justice, ici en la personne de Georges Mandel, mais avec une surprise intéressante, la divergence initialement bénigne (à l’inverse de L’Etoile blanche, cette vengeance ne débouchait sur aucune bifurcation majeure) n’étant qu’un galop d’essai pour une exécution aux conséquences autrement plus vastes… Mais là encore, le recours au terrorisme individuel de la part de Mandel pose pour le moins question… On l’aura compris, du fait de ces nombreux points noirs, La Vengeance de Jaurès ne s’impose pas parmi les meilleurs épisodes de la série Jour J.

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