Accueil > BDSF > Manga > Ikigami, préavis de mort
Ikigami, préavis de mort
samedi 15 août 2015, par
Motoro MASE (1969-)
Japon, 2005-2012, 20 épisodes, イキガミ
Kazé, 2009-2012, 10 vol.
Avant de tomber sur le coffret de l’intégrale de la série chez un libraire, je n’avais aucun connaissance d’Ikigami, préavis de mort. Je ne suis après tout qu’un modeste lecteur de mangas. Le synopsis du coffret et l’article du libraire m’ont puissamment intrigué et aiguisé ma curiosité, mais je crois que je ne cesserai jamais d’être surpris par les Japonais en général et les mangakas en particulier, car seul un pays de culture japonaise pourrait inventer une loi comme celle sur la prospérité nationale qui organise l’inoculation à tous les enfants entrant à l’école à six ans, un vaccin qui n’est en fait rien d’autre qu’une micro-capsule mortelle dans un cas sur mille et programmée pour se déclencher à un jour et une heure fixée entre les 18 et 24 ans du sujet. Ceci afin de motiver la jeunesse à faire quelque chose de la vie dans l’intérêt national. Vingt-quatre heures avant que le couperet ne s’abatte, le ou la future décédé(e) est informé de ce qui va arriver par un préavis de mort délivré par l’administration de l’état-civil municipal. Ce préavis, c’est l’ikigami.
Les deux premiers épisodes décrivent le processus organisationnel de l’opération au travers de la formation et du début de carrière, comme livreur de l’ikigami, de Fujimoto au service de l’état-civil de la mairie de Musashigawa tout en s’attachant aux réactions de deux malchanceux. C’est globalement le fonctionnement de chacun des vingt épisodes de la série qui reprennent ainsi une histoire personnelle tout en évoquant progressivement, en parallèle, d’une part tout le cadre institutionnel et historique dans lequel s’inscrit le programme, et d’autre part le questionnement qui ne manque pas de tarauder Fujimoto.
C’est donc 19 histoires que Motorô Mase met en scène pour exprimer la diversité des réactions à la réception de l’ikigami. Il y a la tête de turc scolaire qui décide de se venger des avanies subies et le frère de l’aveugle qui lui donne ses yeux. Il y a le professeur d’anglais dont la carrière a été ruinée par un jeune con et le danseur de rue qui a délaissé sa passion pour des études qu’il ne terminera jamais. Bien évidemment, ce ne sont pas seulement les victimes qui sont concernées : la catastrophe touche aussi les proches, doublement puisque la responsabilité des délits que pourraient commettre un future décédé lui en incombe et la prive de la pension qui devait lui être octroyée après. La lecture d’Ikigami offre un bon tableau de la nature humaine.
Chaque dossier nourrit aussi les réflexions de Fujimoto sur un programme envers lequel il éprouve de plus en plus de doute. Questionnement dangereux car la loi n’admet pas de remise en cause ou de critique explicite. Une police de sauvegarde de la sécurité nationale se charge de mettre la main sur les opposants actifs ou potentiels afin de les rééduquer idéologiquement.
C’est donc une sorte de 1984 à la japonaise, que je rapproche volontiers de Battle Royale tout en soulignant que les deux histoires placent la jeunesse au centre des préoccupations, non sans raison. Si le pays d’Ikigami n’est pas totalitaire à proprement parler au premier abord, c’est la pression sociale qu’il s’inflige via une législation terroriste qui s’en approche. Disons que le dixième et dernier tome achève d’élargir la critique contre la pression sociale en la plaçant dans le domaine de la politique. Aucun mystère, c’est bien d’une critique du Japon dont il s’agit et Mase, tout comme Takami, ne cache pas le Japon pourrait être un pays merveilleux.
Je ne saurais trop donc recommander la lecture de cette série. Le hic est qu’elle n’est plus éditée en format individuel autrement qu’en format numérique, un format que je n’ai pas encore pu me résoudre à acheter pour les bandes dessinées. Il vous en coûtera quand même 49,90 €. Pour l’acquérir, il vous faudra donc soit choisir l’intégrale et débourser ainsi 79,90 € ; en une fois, soit essayer de dénicher les occasions, ce qui est largement faisable. Vous pouvez aussi consulter les bibliothèques locales pour espérer l’y emprunter. Après vous pouvez aussi attraper le coffret chez le libraire et essayer de partir en courant, mais je déconseille vivement cette solution malhonnête.