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Créateur d’étoiles

dimanche 11 novembre 2001, par Maestro

Olaf STAPLEDON (1886-1950)

Grande-Bretagne, 1937

Il est grand temps pour Wagoo de combler un manque important en ce qui concerne la production littéraire de SF, avec l’écho mérité dont doit absolument bénéficier l’écrivain anglais Olaf Stapledon. Universitaire à Liverpool durant l’entre-deux guerres, ce docteur en philosophie et psychologie se lance dans l’écriture science-fictive passée la quarantaine, et ce sans aucune connaissance de la production alors en plein essor de l’autre côté de l’Atlantique. Ce roman -son quatrième dans le domaine qui nous intéresse- s’inscrit dans une trilogie (baptisée " la vision des dix milliards d’années " par Stan Barets dans son Science-fictionnaire), constituée par Les derniers et les premiers (auquel il est d’ailleurs fait allusion à plusieurs reprises) et Les derniers hommes à Londres.

Dans un style qui se rapproche presque de la poésie, Stapledon nous brosse le voyage à travers l’univers d’un être humain lambda, un voyage qui s’effectue sous la forme désincarnée d’un simple esprit ; le prétexte importe peu, l’essentiel étant la fin poursuivie. Suivant une progression très structurée, une forme d’emboitement d’échelles, ce voyageur découvre d’abord des systèmes stellaires proches du nôtre, avant de s’enfoncer plus avant dans la découverte de civilisations parvenues à un niveau d’évolution bien supérieur, à la recherche du Créateur d’étoiles, si tant est qu’il existe...

La première planète à laquelle est confronté le narrateur est peuplée d’humanoïdes -qu’il appelle d’ailleurs les Autres Hommes- qui, bien que présentant de grandes différences physiques et physiologiques avec nous (en particulier une prédominance du sens du goût sur tous les autres, particulièrement bien évoquée), s’avèrent suivre le même type d’évolution de civilisation que la nôtre. C’est sans doute la partie du roman qui est la plus tributaire du contexte de rédaction, avec la présence d’un mouvement communiste, l’extension d’un fascisme et le risque d’une (seconde ?) guerre mondiale. Cette civilisation est finalement condamnée à une disparition inéluctable, du fait de ses conflits destructeurs qui ont pour principale conséquence la régression de la science et l’impossiblité à terme de contrer la progressive disparition de l’atmosphère... Une leçon hélas toujours d’actualité. Le narrateur découvre alors que son voyage dans l’univers n’est pas seulement un voyage dans l’espace, mais également un voyage dans le temps, la civilisation des Autres Hommes étant en fait bien antérieure à la nôtre. De plus, il repartira de cette première étape de son voyage en compagnie de l’esprit de celui qui fut son hôte, et tous deux ne cesseront d’agréger d’autres esprits en quête de la même soif de connaissances. La variété des civilisations brossées -trop- rapidement par Olaf Stapledon est étourdissante et fascinante, avec certains développements émouvants, comme ces Nautiloïdes, forme de vie aquatique ; ces deux espèces, l’une proche des poissons, l’autre des crustacés, et vivant en symbiose ; ces collectifs insectoïdes dont l’intelligence ne se conçoit que d’une façon groupée ; ou ces hommes-plantes, tiraillés entre modernité déracinante (au sens propre du terme) et retour à une méditation contemplative et végétative ; toutes se retrouvent confrontées au même défi que les autres formes de vie intelligente dans l’univers : réussir à franchir un certain degré de maturité spirituelle, proche d’une certaine manière de l’idéal de la société communiste... Peu de choses en sont d’ailleurs décrites, en dehors de la naissance d’une conscience collective, de la possession en commun des moyens de production, et d’un mode de gouvernement démocratique mais qui peut prendre la forme d’une bureaucratie ou d’un dictateur soumettant ses décisions au vote de tous (le manque de précisions à ce sujet peut laisser penser que l’auteur entretenait quelques illusions quand au régime existant réellement en URSS durant les années 30...).

Mais Stapledon montre bien, en plus de la difficulté de cette accession à un âge adulte pour les diverses humanités, dont un grand nombre échouent ou disparaissent avant cette maturité, qu’arrivé à ce stade communiste, des problèmes continuent de se poser mais sous un tout autre angle. Ainsi, au fur et à mesure que de plus en plus de mondes parviennent à ce stade de conscience planétaire, et que se diffuse en parallèle le voyage interstellaire subatomique, la confrontation entre certains d’entre-eux -devenus " monde fous " par suite du désir d’imposer leur propre modèle de société- débouche sur des conflits extrêmement meurtriers au vu de la technologie en présence (on peut sans doute y voir là encore une extrapolation des soucis du contexte de rédaction)... La résolution de ces problèmes, de cet impérialisme suprême, permet aux divers systèmes de concentrer leurs efforts sur le développement de la télépathie, qui leur permet de rentrer en contact avec d’autres galaxies.

Les visions de Stapledon atteignent alors au vertige. On parvient à faire voyager des planètes entières de galaxies en galaxies, et même à exploiter l’énergie des étoiles. Cette dernière avancée débouche d’ailleurs sur la destruction de bien des systèmes, avant que l’on ne découvre que les étoiles sont également des êtres vivants... Une idée reprise plus tard par Gérard Klein dans Le gambit des étoiles. Parallèlement au déclin progressif de la civilisation, tandis que meurent progressivement de vieillesse les étoiles, devenues d’ailleurs les derniers refuges des formes de vie plus humanoïdes ou insectoïdes, le narrateur se retrouve entraîné vers l’origine de l’univers. Il découvre alors que les nébuleuses, sources des étoiles, étaient elle-mêmes douées de vie, et que la vie en général a besoin de la mort pour se développer, une philosophie très matérialiste dans l’esprit.

Pourtant, alors que l’on aurait pu penser que le Créateur d’étoiles n’existait pas, ou qu’il était simplement constitué des consciences de toutes les formes de vie du cosmos, le narrateur parvient finalement pendant un bref moment à être en contact avec lui : il se révèle être une divinité assez proche des thèses d’Epicure et de Lucrèce, un être aux finalités complètement différentes des nôtres, et pour qui la vie qu’il a créé lui est subordonnée donc inférieure. Les développements téléologiques ultérieurs, qui nous montrent un Créateur soumis aux lois du cosmos, partagé entre un côté bon et un autre plus maléfique (sic !), et qui semble tirer une certaine satisfaction de la souffrance de ses créatures, a pour effet indirect de nous le rendre particulièrement haïssable...

Finalement, la morale de cette incroyable odyssée n’est-elle pas de profiter de la chance qui nous est offerte, à notre modeste échelle, d’embrasser la vie et de contribuer à notre façon à l’avancée de l’espèce vers plus de sagesse ? A tous ceux qui ont un jour rêvé en contemplant de leurs yeux émerveillés la voûte étoilée, la lecture de ce livre est fortement conseillée...

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