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Thinking Eternity
samedi 29 août 2015, par
Raphaël GRANIER DE CASSAGNAC (1973-)
France, 2014
Mnémos, coll. "Dédales", 240 p.
Thinking Eternity s’inscrit dans le prolongement du précédent roman de l’auteur, Eternity Incorporated, avant un troisième volume annoncé. Toutefois, là où le premier tome se situait six cents ans dans l’avenir, ce second volet se situe en une époque jamais nommément localisée, mais que l’on devine comme étant celle de notre proche avenir, à quelques décennies près (avec un silence surprenant, néanmoins, celui du réchauffement climatique et de ses conséquences). Le monde a connu à la fois des regroupements étatiques (une fédération africaine, en particulier) et l’émergence de Sociétats, sortes d’enclaves gérées par des transnationales comme Google (avec une vision un peu trop idyllique de cette nouvelle économie).
L’intrigue démarre sur les chapeaux de roue, par une vague d’attentats de grande envergure, plongeant les réseaux de métro des plus grandes capitales du monde dans des nuages de gaz toxique, générant des milliers de victimes au nom d’une cause jamais revendiquée. Adrian Eckard est un des rares survivants de la catastrophe, mais ayant dû, pour survivre, être amputé de ses yeux, il devient un des premiers cobayes testant des yeux cybernétiques : une sorte d’Homme truqué du XXIe siècle. A l’issue de sa rééducation, il parvient à redonner un sens à sa vie par un long voyage en Afrique, au cours duquel il découvre sa véritable vocation : transmettre aux populations, particulièrement les plus isolées et traditionnelles, la compréhension scientifique du monde. Il devient dès lors un véritable messie, initiateur bien malgré lui d’une « religion scientifique », qui va se doter d’outils numériques de grande ampleur, le Thinking. Parallèlement, sa sœur, Diane, informaticienne talentueuse, se retrouve engagée par l’entreprise Eternity Incorporated, dont l’objectif est d’anticiper les catastrophes pouvant menacer l’existence de l’humanité. Elle finit par se marier avec un de ses directeurs les plus puissants, mais doit également renoncer à certains de ses objectifs de recherche, par la mise au jour du concept d’intelligence viscérale, propre aux humains seuls, et qui obère toute possibilité, pour des intelligences artificielles, de ressentir des émotions et de rejoindre l’humanité. Le jour où la possibilité d’édifier des IA conscientes se dessine, et où Adrian Eckard laisse le Thinking orphelin, tout bascule, et les événements vont s’enchaîner avec moult rebondissements et accélération de l’action, jusqu’à l’apocalypse…
Le propos est ici plus franchement hard science que dans Eternity Incorporated, mais se révèle parfaitement digeste grâce à une prose fluide et dynamique. Il faut dire que les chapitres sont plutôt courts, et la narration traditionnelle alterne avec des extraits d’une enquête journalistique médiatisée sur le parcours d’Adrian Eckard et de sa sœur, entretiens avec divers personnages secondaires ou plus lointains encore, tous réalisés par une journaliste, Esther, devenue biographe officielle d’Adrian. Sur une thématique déjà explorée par la science-fiction, Raphaël Granier de Cassagnac parvient à apporter un peu d’originalité, avec l’idée d’intelligence viscérale ou de spiritualité scientifique, dont on peine cependant à accepter à la fois le rapide succès auprès de populations aux préjugés probablement plus solides et le peu de réactions violentes des religions dominantes. Il n’empêche, le roman permet d’en apprendre davantage sur la genèse du monde décrit dans Eternity Incorporated, et met clairement en garde contre la tentation du tout numérique, nouvelle déclinaison du pacte faustien…