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Les Grandes profondeurs (Oeil de la nuit, 2)
samedi 10 octobre 2015, par
Dessinateur : GESS (1961-)
Scénariste : Serge LEHMAN (1964-)
Couleur : DELF
Delcourt, coll. "Machination", 2015, 98 p.
Deuxième volume des aventures en bandes dessinées du héros de Jean de La Hire, rebaptisé en raison d’un désaccord avec les ayant droits de l’écrivain. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est à la hauteur des attentes, une véritable jubilation pour les passionnés de cette première science-fiction française que l’on nomme le merveilleux scientifique. Il faut dire que Serge Lehman s’ingénie à proposer plusieurs niveaux de lecture.
Il y a d’abord l’aventure proprement dite, qui voit Théo Sinclair en 1911, désormais pourvu d’un cœur artificiel, mettre ses pouvoirs de super-héros au service de la résolution du vol décrit dans Ami du mystère, celui du Mercur-X. Pour ce faire, après avoir visiblement échoué à s’attirer la collaboration de Noé Levigan, prototype du savant fou, il se rend en compagnie de ses compagnons à Gibraltar, afin d’explorer les fonds marins, à la recherche de l’appareillage technologique. En le retrouvant, au cœur d’une construction martienne engloutie tout simplement fascinante, il vengera du même coup sa mère, assassinée alors qu’il n’était qu’un jeune enfant…
Mais là où Les Grandes Profondeurs se fait plus subtil, c’est dans l’hommage qu’il rend au genre, à cette littérature pionnière, à commencer par son titre, possible clin d’œil au roman de René Réouven. Le plus remarquable, c’est l’inclusion au cœur de l’histoire du Nyctalope d’un autre récit, directement inspiré de L’Homme qui peut vivre dans l’eau (devenu ici L’Homme des profondeurs), publication de 1910 de La Hire, et genèse du personnage du Nyctalope : cette BD dans la BD est réalisée dans des teintes plus passées, plus ocres, et met en scène l’Androbathe, humain devenu créature marine transformé ici en orphelin, un moyen d’accroître la dimension tragique de la confrontation entre Sinclair et lui... On peut également relever quelques allusions à la Ligue des Gentlemen extraordinaires, à Fantômas ou au Sâr Dubnotal, familier des lecteurs des Compagnons de l’ombre.
Enfin, il y a la mise en abyme, permise par le personnage de La Forge (alter égo de La Hire), qui rédige les aventures du Nyctalope pratiquement en temps réel sous la forme d’un roman feuilleton à succès, non sans répliques témoignant d’un recul ironique sur la chose. Et dans cette intrigue aux multiples entrées, la confrontation, éminemment contemporaine, se fait aussi entre les partisans d’une science sans limite et ceux qui tendraient à la contenir, l’avantage revenant clairement ici aux premiers, ce qui explique également l’incorporation d’extraits de textes futuristes, signés Marinetti.
Il convient pour terminer de saluer le magnifique travail de Gess, auteur de planches d’anthologie : outre cette vue aérienne de l’arsenal de Brest, la page de journal page 86, ou une vue en noir et blanc du Nyctalope (page 50) évoquant L’Homme truqué, les doubles pages en couleur profondes sont de merveilleuses réussites, le stratogyre volant au-dessus des flots (pages 52-53) ou la découverte de la nécropole martienne (page 62).