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L’Une rêve, l’autre pas
samedi 9 avril 2016, par
Nancy KRESS (1948-)
Etats-Unis, 1991, Beggars in Spain
ActuSF, coll. "Perles d’épice", 172 p., 2013.
Nancy Kress est une auteure qui connaît ces dernières années un regain d’intérêt : Fleuve noir avait publié d’elle Feux croisés en 2009, ActuSF Après la chute, avant de republier [1] la novella dont il va être question ici, et Le Bélial’, dans sa nouvelle collection « Une Heure-Lumière », vient juste de sortir Le Nexus du docteur Erdmann. Il faut dire, ainsi qu’elle le reconnaît elle-même dans l’entretien qui complète l’ouvrage, que Nancy Kress est une écrivaine plus à l’aise dans le format court ou moyen.
Avec L’une rêve, l’autre pas, elle s’intéresse, dès 1991, aux manipulations génétiques pratiquées sur les futurs enfants à naître. Privilège réservé à un public relativement aisé, il est utilisé par Roger Camden, richissime investisseur, afin de créer l’héritière parfaite. Parmi les améliorations dont Leisha va être pourvue, il y a une innovation récente, lui permettant de se passer de sommeil. Toutefois, la grossesse d’Elisabeth Camden se retrouve double, un second ovule ayant été fécondée, mais sans modifications génétiques : ce sera Alice. Dans une bonne moitié du texte, on assiste donc à la préparation de cette conception et à l’enfance des deux sœurs, dans un contexte où le couple de leurs parents, déjà fragile, se désintègre littéralement, provoquant la scission de la cellule familiale en deux entités, Leisha étant clairement la seule véritable héritière reconnue par son père, tandis qu’Alice bascule dans l’opposition à la figure paternelle, tentant à sa manière de trouver des sources d’affection. Là où l’on aurait pu attendre un regard nuancé, équilibré entre les deux sœurs, la situation est clairement à l’avantage de Leisha : l’absence de sommeil et de rêve, loin de la gêner dans son évolution, l’avantage considérablement, boostant même son intelligence… Il y a, derrière cette vision des choses, une forme de confiance légèrement aveugle dans la manipulation des gènes humains. Au-delà des relations familiales, ce qui constitue également le cœur de L’une rêve, l’autre pas, c’est la thématique de la mutation et de la surhumanité. Les non-dormeurs, ainsi qu’on les qualifie, suscitent en effet chez nombre d’Etatsuniens (la situation est clairement américano-centrée) du rejet, de la peur et même de la haine, situation qui pousse la plupart d’entre eux à vouloir se mettre à l’abri dans une sorte de réserve, le Sanctuaire.
Ces développements, plutôt classiques, sont servis par une prose profondément humaine, sobre et sans pathos, qui rapproche Nancy Kress d’un Robert Charles Wilson. Le dénouement de la novella vaut critique d’une forme exacerbée de libéralisme (le néo-libéralisme, pour ne pas le nommer), puisque Nancy Kress voit dans l’échange désintéressé, basé sur l’empathie, la clef de relations humaines apaisées et fertiles. Un vœu pieux, sans doute, mais une réelle générosité dans les idées.
[1] Elle a déjà été publiée dans Futurs qui craignent en 1993.