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LA VALLEE DU BONHEUR
samedi 30 avril 2016, par
Francis Ford COPPOLA (1939-)
Etats-Unis, 1968, Finian’s Rainbow
Fred Astaire, Petula Clark, Tommy Steele, Don Francks, Barbara Hancock, Keenan Wynn
La Vallée du bonheur est un OVNI cinématographique à double titre : d’abord parce que c’est une comédie musicale dans la plus pure tradition d’un genre tombé en désuétude depuis plus d’une dizaine d’années ; ensuite parce que c’est une comédie musicale réalisée par Francis Ford Coppola qui en a accepté la direction paraît-il parce que cela aurait fait plaisir à son père qui l’avait emmené voir la pièce à Broadway ving ans auparavant.
Finian MacLonergan (Fred Astaire) et sa fille Sharon (Petula Clark) arpentent les Etats-Unis pour une raison seule connue du premier - et incompréhensible des spectateurs une fois exposée - jusqu’à débarquer dans une petite vallée du Kentucky proche de Fort Knox à un moment où les habitants sont en proie au risque de se faire exproprier à l’instigation du sénateur Rawkins mais y échappent une première fois grâce à l’argent rassemblée d’un habitant Woody Mahoney (Don Francks). Tandis que ledit Mahoney compte fleurette à Sharon, Finian réalise son plan : enterrer la marmite d’or qu’il a dérobée à Og (Tommy Steele), un farfadet de la verte Erin. Mais celui-ci entend bien recouvrir son bien dont la perte le menace de devenir humain. Aussi a-t-il suivi Finian jusque là et lui propose de réaliser les trois voeux auxquels il a droit en échange de sa marmite d’or. Las le premier voeu est involontairement utilisé par Sharon qui dans un mouvement de colère souhaite au sénateur Rawlings de devenir noir comme ceux qu’il méprise injustement. Ce qui arrive. Dès lors Sharon est suspectée de sorcellerie et risque de se voir brûlée.
On ne s’étonnera pas que La Vallée du bonheur soit un film méconnu dans la filmographie de Francis Ford Coppola, éclipsé par ses films postérieurs complètement différents. Aussi suis-je très dubitatif quand un bonus de DVD vous montre le réalisateur présenter son travail environ quarante ans après avec cette rhétorique si spécifique à Hollywood quand les gens du cinéma parlent de leur collaboration entre eux. Je n’ai pu m’empêcher de trouver une pointe d’ironie dans l’évocation du temps nécessaire à Fred Astaire pour répéter ses pas. Tous les historiens du cinéma - y compris ceux qui travaillent dans le cinéma - s’accordent pour dire que Coppola a été exécrable alors qu’il ne connaissait rien au genre de la comédie musicale au dire d’un de ses professionnels.
Pourtant le film ne manque pas de talent et parler de saccage d’excellentes chansons [1], c’est ne rendre honneur ni à Petula Clark au fait de sa gloire, non seulement ici-bas et downtown mais dans son premier film hollywoodien, ni à Hermès Pan, chorégraphe de la grande époque auquel sont dues notamment les chorégraphies de La Mélodie du bonheur (Heisler, 1946), La Belle de Moscou (Mamoulian, 1957) et de bien d’autres ce qui ne l’empêcha pas de se faire éjecter du tournage par le réalisateur, ni à Fred Astaire, vieillissant selon le Dictionnaire du cinéma dirigé par J.-L. Passek mais dont la souplesse à 69 ans laisse admiratif et dont ce fut la dernière comédie musicale ce qui confère d’ailleurs une charge émotionnelle à la scène finale qui le voit s’éloigner sur le chemin vers l’horizon, ni même ce n’est pas faire honneur encore à Tommy Steele, l’Elvis Presley britannique en son temps, dont le sourire ahuri colle comme un gant à son personnage féérique. Il est certain néanmoins qu’il faut apprécier un minimum le genre pour donner une chance à La Vallée du bonheur.
Cette charge honorifique ne doit pas faire croire à un chef dœuvre, les scènes chantées assumant pleinement le kitsch du genre sans aucune recherche de modernité, un comble à l’époque de Hair, et en dépit de scènes humoristiques dont la plus excellente voit le personnage joué par l’acteur noir Al Freeman se conformer aux instructions de majordome noir en phase avec les canons du vieux Sud.
Peut-être l’époque était-elle favorable à la mise à l’écran de cette pièce de Broadway ? La fantasy ne sert ici que d’artifice à une intrigue pour participer à la lutte pour les droits civiques. Il y a d’ailleurs un peu plus que quelques allusions au problème racial que Coursobon et Tavernier veulent l’entendre. Cependant la référence à la sorcellerie renvoie plutôt à la critique de la lutte anti-communiste dont j’ignore si elle était présente dans l’opérette originelle montée en 1947 sur un livret produit par deux auteurs qui devait être blacklistés par la suite.
Je ne le recommanderai donc qu’aux amateurs de comédie musicale des années 40 et 50 et pas aux amateurs de Coppola qu’ils n’y retrouveront pas. Je crois sans peine que le réalisateur a renié son travail n’en déplaise à ce que le bonus du DVD cherche à faire croire.
[1] Cf. Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier dans leur 50 ans de cinéma américain, édition de 1995, réédition Omnibus, 2003, p.378.