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Comment jouer à l’homme invisible en trois leçons

dimanche 8 avril 2018, par Maestro

Philippe CURVAL (1929-)

France, 1986

Denoël, coll. "Présence du Futur", 224 p.

Sous un titre une nouvelle fois long et singulier, à l’image de son précédent recueil chez le même éditeur, Philippe Curval propose trois textes, trois variations sur l’invisibilité entendue au sens le plus large.

« Profil grec après l’incendie du Panthéon » est assurément le plus déjanté, puisqu’il met en scène un individu lambda capable d’absorber le temps et de passer ainsi inaperçu auprès de ses contemporains. L’occasion rêvée pour les créatures du mythe de Cthulhu d’en profiter afin de revenir sur la Terre ; c’est sans compter sur les résistances des occupants funèbres du Panthéon, Jean Moulin et Victor Hugo au premier chef… Nouvelle délirante et jouant volontiers avec l’absurde, « Profil grec après l’incendie du Panthéon » s’inscrit dans la veine la plus surréaliste de Philippe Curval, en même temps qu’elle est une nouvelle fois incarnation du pouvoir de la fiction et des carcans religieux de tous types.

«  Murs bombés dans la fièvre » se déroule sur une autre planète, récemment adhérente à la Confédération galactique impulsée par la Terre. Yamanote Shimbashi est un chercheur employé par les autorités centrales, un individu particulièrement réceptif aux anomalies sous-jacentes, celles qui subsistent malgré tout sous les réalités extra-terrestres ayant fait le choix de la société universelle. Sur la planète Qedo, il est intrigué par divers phénomènes qui le poussent vers l’île de Is’Khaï, berceau de la civilisation autochtone, et repère d’une sourde résistance à l’uniformisation, à laquelle il finira par se rallier. Son invisibilité sera alors celle de l’ennemi de l’intérieur. Ce faisant, cette nouvelle défend une fois encore la diversité culturelle face à un conformisme mortifère, celui du plus puissant (celui de la langue universelle, le transcrit, corsetée), mais également le pouvoir de l’imaginaire, des fictions, de l’unicité individuelle, du rêve et des arts face à une raison autoritaire et exclusive, une technologie aveugle et totalitaire ; il y a du situationnisme dans cette posture. « Comme s’il n’y avait qu’une interprétation possible de l’univers, détenue par les seuls humains et ceux qui se ralliaient à leur point de vue : un enchaînement de faits et de conséquences destinés à l’essor de l’homme, une réalité dont la structure logique ne pouvait jamais être remise en cause. Absurde ! » (p. 131)

« Massacre chez les époux Roctow », enfin, est sans doute le texte des trois le plus apparenté à l’anticipation. Dans cette société terrienne de l’avenir, le succès croissant de la Timovie bouscule toutes les certitudes, transforme en profondeur la vie des gens. La Timovie, c’est en effet la possibilité d’enregistrer l’entièreté d’une vie, en audio et en vidéo, agrémentée d’un tirage au sort offrant au chanceux la célébrité totale par la diffusion de sa vie précédemment anonyme… au bout de 99 ans de propriété personnelle. On saisit ici la capacité prédictive de Philippe Curval, à une époque où l’informatique avait seulement débuté ses progrès sidérants, la Timovie anticipant sur l’Internet et Facebook, critiquant au passage « (…) le narcissisme, l’individualisme borné qui ravage notre civilisation. » (p. 175), avec une bonne dose d’obscénité et l’encouragement à la religiosité et au mysticisme (le numérique comme succédanée de la vie éternelle). Ce refuge dans un passé stérile, un présent faussement prolongé, Curval semble le rejeter au profit d’un avenir subversif : « Demain, les écrans seraient enfin vides. » (p. 212).

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