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AVENGERS : INFINITY WAR
dimanche 14 octobre 2018, par
Anthony et Joe RUSSO
Etats-Unis, 2018
Robert Doney Jr., Chris Hemsworth, Benedict Cumberbatch, Mark Ruffalo, Zoe Zaldana, Chris Pratt, Paul Bettany, Elisabeth Olsen, Chris Evans, Tom Holland, Scarlett Johansson, Chadwick Boseman & Josh Brolin
En quelque sorte, Avengers : Infinity War est l’aboutissement de tout le projet cinématographique Marvel, des fils noués dans les réalisations antérieures, principalement les deux premiers films Avengers, les trois films Captain America et les trois Thor, y forment une trame. Il peut en résulter pour le spectateur qui n’aurait pas ou que peu vu ces œuvres une certaine difficulté à rentrer dans ce troisième film des Avengers.
Ainsi Avengers : Infinity War embraye directement sur la séquence post-générique de Thor ; Ragnarok : abordé par le vaisseau de Thanos, les réfugiés d’Asgard sont massacrés et Thor vaincu, permettant ainsi au Titan de mettre la main sur la pierre de l’espace qui lui donne donc le contrôle des trois premières dimensions. Il lui reste alors quatre pierres à trouver sur les six existantes. Il envoie quatre de ses sbires sur Terre pour récupérer les pierres du temps et de l’esprit, détenues respectivement par le docteur Strange et la Vision. Le premier, averti in extremis par le docteur Banner réexpédié sur Terre par le Bifrost, reçoit l’aide d’Iron Man et de Spider-Man, mais le groupe de héros se retrouve embarqué dans un voyage interstellaire. Le second, en week-end romantico-dépressif à Edimbourg avec la Sorcière rouge, est sauvé par le Faucon, la Veuve noire et Captain America. Ce groupe trouve refuge au Wakanda, espérant résister à l’assaut des troupes de Thanos suffisamment longtemps pour que la petite sœur de Tchaka enlève la pierre de l’âme de la Vision pour la détruire. Pendant ce temps, le chemin des Gardiens de la galaxie croise celui de Thor qui veut récupérer une arme pour vaincre Thanos. Après qu’ils échouent à contrer Thanos dans sa récupération des pierres de la réalité et de l’âme, ils montent un piège sur Titan avec l’aide des super-héros.
Le récit croise bel et bien de multiples fils tissés progressivement et de longue haleine : l’histoire du Tesseract (Captain America : First Avenger, Avengers et, fugacement, Thor : Ragnarok), celle de Docteur Strange, gardien de la pierre du temps, et celle des Gardiens de la Galaxie qui avaient confié la pierre du pouvoir aux Novae. Incontestablement un aboutissement donc, mais pas une fin, tout au plus un début de la fin d’un arc narratif, celui des pierres de l’infini, en attendant les films prévus pour 2019 : Miss Marvel et un quatrième Avengers au titre indéfini pour le moment.
Le scénario est principalement une adaptation de la mini-série comics, Le Gantelet de l’infini, parue en 1991 et créée par Jim Starlin (lequel est remercié dans le générique), et surtout de sa préquelle de 1990, La Quête de Thanos [1], toutes deux dessinées par Ron Lim. Or, à part le Collectionneur, les détenteurs des pierres ne sont pas les mêmes et, bien sûr, les moyens de les acquérir diffèrent. Le résultat reste le même : Thanos élimine d’un claquement de doigt la moitié des êtres vivants de l’Univers.
Pourtant la différence la plus marquante réside dans les raisons qui motivent le Titan. Dans le comics, il s’agissait pour lui d’obéir aux désirs de la Mort, inquiète par le grand nombre d’êtres vivants dans l’Univers et le surcroit de travail induit. Dans Avengers : Infinity War, c’est Thanos qui s’inquiète de cette surpopulation épuisant les ressources et laissant de trop nombreux individus dans la misère et la faim. La solution est dans l’élimination. Cette approche, résolument d’actualité quant à sa dimension écologico-économique, implique d’une part une personnalité très différente du Thanos cinématographique par rapport au comics ; d’autre-part, elle implique un positionnement malthusien, au sens premier, face à cette question de la pauvreté.
Ainsi, Thanos apparaît comme un être sensible, quoique d’une sensibilité particulière, ce qu’il n’est pas du tout dans les comics, si l’on excepte son amour de la Mort. Il pleure même la mort de Gamora. Il ne recherche pas le pouvoir absolu, ce qui évite de voir débarquer la question religieuse dans le film : la scène finale, précédant le générique, voit Thanos retiré dans une modeste maison de campagne, l’esprit apaisé mais visiblement triste. Dans le comics, cette scène est celle qui suit sa défaite, pas sa victoire ! La différence est considérable. A plusieurs reprises, il se présente comme bienveillant, justifiant ses massacres par l’intérêt général, parlant de courage de sa part, soit des qualités que se prêtent volontiers de grands décideurs politiques mondiaux politiques ou économiques quand il s’agît de faire de sacrifices qui seront surtout subis par d’autres [2], d’où l’accusation d’hypocrisie dont le taxe Gamora. Dans une certaine mesure, on ne peut manquer d’y voir une critique de la société actuelle.
Ensuite, son approche du problème relève clairement du malthusianisme : la croissance démographique, plus rapide que la croissance économique, engendre la pauvreté et la solution réside dans un contrôle de la démographie, pris dans une acceptation très radicale dans son cas, mais une acceptation qui n’est pas nouvelle si l’on se réfère par exemple à la trilogie Silo de Hugh Howey parmi les références les plus récentes. Si l’on comprend bien évidemment l’horreur de la réponse thanosienne au problème, il est difficile de ne pas se dire qu’un jour des dirigeants pourraient apporter la même réponse au même problème. Remarquons que le camp d’en face n’apporte pas de réponse à la question posée autre que le déni à Thanos d’un droit quelconque de décider du sort de chaque individu, une réponse très inscrite dans le libéralisme : l’objectif des héros est d’arrêter Thanos, et celui du film étant de distraire le spectateur par de l’action et pas de l’endormir par une réflexion sur l’inégalité parmi les hommes.
Et de l’action, il y en a à revendre ! La très grande qualité des effets spéciaux permise par la technique moderne et un budget suffisant (plus de 300 millions de $) autorise la mise en scène de batailles homériques avec une pléthore de monstres. De quoi ne pas s’ennuyer.
[1] Récit paru en France dans un Récit Complet Marvel en 1991 et réédité très récemment par Panini Comics.
[2] On ne rapprochera pas Thanos de Hitler. Outre que le dictateur nazi n’éprouvait aucune commisération pour ses victimes, ses projets reposaient sur une hiérarchisation raciale. Or Thanos se défend bien de toute discrimination tant économique que culturelle.