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Histoires de sexe-fiction

Omne animale triste post coitum

dimanche 11 novembre 2018, par von Bek

Demetre IOAKIMIDIS (1929-2012), Jacques GOIMARD (1934-2012) et Gérard KLEIN (1937-)

France, 1985

Le Livre de Poche, 448 p.

Sans doute faudra-t-il reconnaître à ce 36e et dernier volume de la fameuse Grande anthologie de la science-fiction, le mérite du titre le plus drôle et... du plus racoleur ! Difficile de ne pas aborder un tel ouvrage sans avoir le sourire aux lèvres. Sourire que l’introduction absconse, si ce n’est confuse, de Jacques Goimard pourrait bien effacer, d’autant qu’il en ressort, au moins, que le sexe n’est pas tout (dans ce recueil) et qu’il est aussi question d’amour.

Comme toujours dans La Grande anthologie, l’ordre des nouvelles proposées suit une progression, qui est ici celle de la nature sur deux plans. Il est d’abord question des rapports entre humains qu’ils soient hétéro ou homo, puis de l’intervention de la machine pour finir par un texte évoquant l’acte sexuel avec une espèce extra-terrestre dû à Philip José Farmer, mais qui d’autre que l’auteur des Amants étrangers pouvait être à l’origine de « Mère » ? Avant d’arriver là, il faudra parler d’amour.

Dans « Monde bien perdu », Theodore Sturgeon s’en prend directement aux préjugés de la société à une époque à laquelle ils étaient encore très vivaces. Ce n’est pas tant pour s’attaquer au tabou qu’ensuite Pamela Sargent s’interroge, avec des passages très explicites, sur le sentiment amoureux que pourrait bien éprouver un clone dans « Ma sœur, mon double », mais pour réfléchir sur la nature de ce sentiment, dans lequel il ne s’agit pas seulement de se connaître, mais aussi de connaître l’autre. Or, justement, « Groupe », le premier texte de Robert Silverberg, imagine l’incompréhension que pourrait rencontrer un amoureux transi en quête d’exclusivité sexuelle avec la femme de son cœur dans une société où le sexe et l’amour sont complètement déconnecté, pour ne pas dire dans laquelle le deuxième a disparu, et c’est de connaissance de l’autre que traite Gene Wolfe dans « L’Homme sans tête ».

Bien évidement la fonction reproductive n’est pas absente des nouvelles. L’héroïne de « Sous des bannières triomphales » de James Blish apprend à ses dépens qu’elle peut prendre des formes très particulières. Ce texte, très poétique quoique tragique, n’est cependant qu’une brève incursion dans le domaine de la sexualité extra-terrestre, avant de revenir à la question humaine bassement terre-à-terre. Successivement Kurt Vonnegut Jr et A. K. Jorgenson s’en prennent à la pudibonderie dans deux textes présentant quelques similitudes puisque leurs personnages évoluent dans des sociétés ayant mis en place des mesures visant limiter les rapports sexuels soit par peur de l’explosion démographique dans « Bienvenue au pavillon des singes », soit par pruderie dans « Le Jour de la majorité ».

Arrive le moment de la machine. L’excellent « Whistler »de Ron Goulart mêle des thèmes classiques du Vaudeville et de la SF : que se passerait-il si la machine venait à supplanter l’homme ? Une peur récurrente depuis l’essor de la robotisation, appliquée ici au domaine amoureux et reprise aussi Thomas Brand dans sa nouvelle « Don Slow et son attrape-fille électrique ». Il en découle une autre question : l’amour est-il le propre de l’homme ? Dans la nouvelle « Le Faiseur d’amour », Ron Goulart apporte sa réponse d’une manière qui n’est pas sans rappeler la fameuse nouvelle de Philip K. Dick, « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ». Pourtant les auteurs n’oublient pas que la technologie peut apporter une aide ou installer le rapport amoureux. Si la « Fille un peu démodée » de Joanna Russ en est très satisfaite, le héros de Robert Sheckley en subit lui les aspects négatifs dans « Amour et compagnie ».

Se pose ensuite la question de l’organisation sociale induite par l’existence de deux genres bien différents. Chacun des deux sexes est dans un premier temps et sauf évolution biologiques ou technologiques, nécessaires à l’autre. Un long voyage spatiale serait-il supportable sans la présence de l’autre sexe ? Et comment faire pour rendre possible cette cohabitation ? La solution de « Relations spatiales » de Randall Garrett ne plaira peut-être pas à tous. Elle n’a en tout cas pas plu au héros. Quant au vaisseau générationnelle quelle organisation sexuelle adopter ? Celle de Judith Merril dans « Le Vaisseau Survie » plaira peut-être au plus fougueux.

A ce stade, les textes ont Immanquablement glissé vers le matriarcat, parfois de manière trop subtile quand je regarde le texte de Fritz Leiber, « Les Lendemains qui chantent ». « Quand ça change », le deuxième texte de Joanna Russ, aborde une colonisation humaine sans homme. Finalement, la nouvelle de Philip José Farmer est aussi le point culminant de ce glissement.

Avec vingt-et-une nouvelles, ce recueil est le plus important de la série. Il s’en distingue aussi en proposant les seuls textes de SF écrits par deux inconnus (Thomas Brand et A.K. Jorgenson). Pour autant, les auteurs sont aussi ceux qui se rencontrent fréquemment dans les volumes de la collection. Seul Poul Anderson manque à l’appel du quinté [1]. Il n’en est cependant pas plus épais, les textes étant d’entre dix et vingt pages. Sans surprise, il est aussi celui dont la date de rédaction moyenne est sans doute la plus élevée (1967). Certes les textes de Sturgeon, Sheckley, Merril et Farmer peuvent bien dater des années cinquante, mais la plus grande partie des nouvelles ont été écrites dans les années soixante et surtout soixante-dix, d’autant que les anthologistes sont allés allègrement piocher dans Eros in Orbit, une anthologie américaine parue en 1973, y puisant pas moins de six textes sur les dix qui y figuraient. L’époque de rédaction des nouvelles n’est évidemment pas surprenante puisqu’elle coïncide avec la révolution sexuelle et la libération des mœurs revendiquées des sixties. La nouvelle de Vonnegut a d’ailleurs initialement paru dans Playboy !

Est-ce pour autant que le recueil sombre dans le pornographique ? Si certains passages sont assez crus, notamment dans les nouvelles de Pamela Sargent et de Robert Silverberg (sans vraiment de surprise pour ce dernier), on ne peut pas dire que la description de l’acte sexuel occupe une grande place, même si le texte de Philip José Farmer est très... organique. Aussi le lecteur en quête de quelques passages salaces se trouvera aussi bien d’aller lire un SAS ou Le Grand voyage de Jean Auel. Comparé aux autres volumes que j’ai lu, ces Histoires de sexe-fiction bénéficient d’un thème plus amusant, mais leurs chutes ne sont pas exceptionnelles. Omne animal triste post coitum.

Titre français Auteurs Titres originaux Année de publication Pagination
Préface Jacques GOIMARD 1984 p.5-13
01 Parthen R.A. LAFFERTY Parthen 1973 p.19-29
02 Monde bien perdu Theodore STURGEON The World Well Lost 1953 p.31-57
03 Mauvaise étoile George ZEBROWSKI Starcrossed 1973 p.59-68
04 Ma Sœur, mon double Pamela SARGENT Clone sister 1973 p.69-102
05 Groupe Robert SILVERBERG In the Group 1973 p.103-125
06 Sous des bannières triomphales James BLISH How beautiful with banners 1966 p.127-141
07 Bienvenue au pavillon des singes Kurt VONNEGUT Jr Welcome to the Monkey House 1968 p.143-168
08 L’Homme sans tête Gene WOLFE The Headless Man 1972 p.169-178
09 Le Jour de la majorité A. K. JORGENSON Coming-of-age dayt 1965 p.179-197
10 Whistler Ron GOULART « Whistler 1973 p.199-223
11 Don Slow et son attrape-fille électrique Thomas BRAND Don Slow and his Electric Girl Getter 1973 p.225-243
12 Une Fille un peu démodée Joanna RUSS An Old-fashioned Girl 1974 p.245-252
13 Le Faiseur d’amour Gordon EKLUND Lovemaker 1973 p.253-275
14 Amour et compagnie Robert SHECKLEY Pilgrimage to Earth / Love, Incorporated 1956 p.277-294
15 Relations spatiales Randall GARRETT Spatial Relationship 1962 p.295-307
16 Le Millionième jour Frederik POHL Day Million 1966 p.309-317
17 Passagers Robert SILVERBERG Passengers 1968 p.319-337
18 Le Vaisseau survie Judith MERRIL Survival Ship 1951 p.339-351
19 Quand ça change Joanna RUSS When it Changed 1972 p.353-366
20 Les Lendemains qui chantent Fritz LEIBER The Good New Days 1965 p.367-389
21 Mère Philip José FARMER Mother 1953 p.391-433

[1Les cinq auteurs les plus fréquemment publiés par la Grande Anthologie de la science-fiction sont Sheckley, Anderson, Lafferty, Leiber et Silverberg.

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