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Le Bar des Afrancesados
dimanche 23 septembre 2018, par
Raymond ISS (1945-)
France, 2018
Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 258 p.
De Raymond Iss, on avait pu apprécier chez Rivière blanche ses deux recueils de nouvelles, La Bulle d’éternité et Les Gardes Rêves. Le Bar des Afrancesados est pour sa part un roman, placé dans le genre de l’uchronie. On y découvre progressivement un univers différent du nôtre par la base, à travers l’itinéraire de vie de Maïté, une jeune femme basque.
Le pays basque des sept provinces y est en effet un Etat indépendant, et Maïté une patriote convaincue, danseuse et chanteuse douée, appelée à participer à certaines commémorations mémorielles. Elle noue une relation avec Esteben, jeune homme de bonne famille qui doute davantage qu’elle du discours officiel, et contourne en partie la censure existant quant à l’Internet et à la littérature française. Lorsqu’il est mobilisé pour lutter contre les terroristes d’une Navarre libre, Maïté noue une relation parallèle avec Gaël, un breton frère de sa correspondante Nolwenn. Esteben, gravement blessé, et désormais lourdement handicapé, rompt finalement ses fiançailles avec Maïté, ce qui permet à cette dernière de se marier avec Gaël, au prix de la rupture avec une bonne partie de sa famille, de ses amis et de son pays natal. La réalité qu’elle découvre dans une Bretagne elle aussi indépendante n’est toutefois guère meilleure que son Euskadi : l’avortement et la contraception y sont interdits, l’usage de prénoms autres que d’origine celtique drastiquement contrôlé, et des zones franches voient l’exploitation forcenée d’une main d’œuvre livrée aux appétits chinois, ces mêmes Chinois qui possèdent une concession en plein cœur de Bayonne ! La vie devient un véritable cauchemar lorsque Gaël est muté en Alsace indépendante : cette fois, Maïté et son fils Yann ne parviennent pas à s’intégrer, et ce n’est qu’en déménageant sur Paris que le trio parviendra à trouver – enfin ! – un havre de paix. Maïté y sera également confrontée à des révélations capitales (sic) sur sa famille et sur les mythologies nationales…
Raymond Iss, dans Le Bar des Afrancesados, propose une forme de réplique involontaire aux Chroniques Sarrasines de Jacques Boireau. Ce dernier, dans le sillage des luttes post-68, imaginait en effet une France alternative, où le régionalisme aurait triomphé, sous la houlette d’un islam éclairé, revanche d’un sud se considérant comme opprimé. A l’inverse, dans un contexte tout autre, celui d’un retour des nationalismes et de la tentation du repli passant par l’éclatement des Etats nations installés, Raymond Iss cherche à montrer que l’existence d’Etat régionaux, identitaires, ne constituerait pas nécessairement une issue plus progressiste et plus émancipatrice. Au contraire, puisque cette logique de la séparation et de l’identification à un supposé même conduit, dans le roman, d’une part à une multiplicité interne des langues régionales annihilant toute possibilité d’immigration positive, d’autre part à des implosions sous forme de guerres civiles, comme en Corse. Ce faisant, il nous invite également à réfléchir à la polysémie de ce terme à géométrie variable qu’est celui de terroriste… Le parallèle qui est fait entre cette Europe et l’Afrique post-coloniale explique la fragilité d’un continent soumis aux appétits économiques chinois.
Ecrit d’une plume fluide et simple, Le Bar des afrancesados – rappel d’une réalité historique que nous vous laissons découvrir – est une réflexion intéressante sur notre monde actuel, un rejet de l’intolérance à l’égard de l’autre et une condamnation franche et nette des tentations communautaires, encouragées par la complicité de l’Union européenne (jusqu’à la caricature, comme pour les espaces de lapidation évoqués dans le roman).
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