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L’année du lion
dimanche 21 février 2021, par
Deon MEYER (1958-)
Afrique du Sud, 2016, Koors
Seuil, 2017, 640 p.
Même si certains oise(a)ux de mauvais augure disaient qu’une pandémie finirait bien par éclater après les alertes des grippes aviaires, du SRAS ou du MERS-CoV (plus localisé), L’année du lion pourrait bien valoir à Deon Meyer une réputation de prophète et plus encore dans certains milieux qui s’autorisent trop à penser, comme les lecteurs le verront.
L’année qui précède l’année du chien, un coronavirus, la Fièvre dans le roman [1], décime l’humanité, ne laissant que 5 % de survivants, parmi lesquels Nico Storm, 13 ans, et son père Willem, juriste et esprit éclairé. Humaniste, Willem Storm croît en la capacité de l’humanité de reconstruire la civilisation, malgré les chiens devenus sauvages et qui ne craignent pas l’homme, malgré les hommes devenus sauvages qui ont perdu le vernis de civilisation et manquent d’avoir sa peau au début. Willem Storm bâtit son rêve, mais y laisse sa vie. Je ne dévoile rien. Le narrateur l’annonce dès les premières lignes.
Le narrateur, c’est Nico, Nico qui écrit ses mémoires à quarante ans passés et tente de reconstruire l’enchaînement des événements qui ont conduit au meurtre de son père et à sa quête de ses meurtriers. Entre l’année du chien, durant laquelle les deux Storm mettent un terme à leur itinérance pour fonder une colonie à Vanderkloof rebaptisé Amanzi (l’eau en zoulou), et l’année du lion, durant laquelle est assassiné Willem, s’écoulent trois années qui voient Nico assister à la difficile construction d’une nouvelle communauté qui grandit au gré de l’arrivée de réfugiés fuyant les gangs, fuyant la famine engendrée par la disparition des réserves de nourriture. Parmi les premiers arrivants figure Domingo, le mystérieux et terrible Domingo, qui aura une influence considérable sur l’adolescent Nico qui se cherche et cherche un modèle pour remplacer celui d’un père à la fois formidable et décevant.
La peur de l’effondrement repose sur la crainte de voir disparaître le confort matériel que connaissent nombre de pays et de voir apparaître l’insécurité et le chaos. La fameuse citation, déformée, de Thomas Hobbes selon laquelle l’homme serait un loup pour l’homme [2] étaye cet imaginaire. De Forstchen qui imagine, dans Une seconde après, une communauté aux valeurs démocratiques et libérales affirmées, attaquée, à Alex Scarrow qui dépeint dans son diptyque des dominos un monde sans pétrole livré à la sauvagerie, les exemples ne manquent pas.
On peut retrouver un peu des deux dans le roman de Deon Meyer. Avec le premier, il partage l’idéal d’un îlot de paix reconstruit par la volonté d’hommes et de femmes bonnes et défendu bec et ongle par le courage et la force d’hommes et de femmes résolues [3]. Avec le deuxième, il a en commun la cruauté humaine, mais s’il ne lui cède en rien en terme sur ce sujet, il a une pudeur plus grande quant aux viols, atrocités commises, suggérées mais jamais nommément citées.
Pourtant, Deon Meyer se distingue sur plus d’un plan. D’abord parce que son but est bien de dresser un portrait mesuré et complexe de la nature humaine. L’humain n’est pas bon ou mauvais. Il est bon et mauvais. Le bon n’est pas forcément exempt d’erreurs, de taches. Il n’est pas forcément libéral et tolérant. Il n’est pas forcément toujours bons, comme l’illustre le personnage du pasteur Nkosi Sebego dans le roman. Et c’est aussi ce personnage, essentiel au livre, qui illustre l’autre distinction de L’année du lion. Il s’agit d’un livre qui traite de politique. De politique au sens premier du terme, le gouvernement de la cité et Deon Meyer de convoquer Platon et Spinoza, d’évoquer les rapports entre le politique et le religieux.
Cependant aussi haletant (et angoissant pour les dominos de Scarrow) que soient ces récits, Deon Meyer a un talent que n’ont pas dans la même mesure ces collègues américains et anglais : l’art de la narration. L’auteur sud-africain, qui écrit en afrikaans soit-dit en passant, alterne le récit de Nico et de pseudo-extraits de témoignages ultérieurs ou d’une enquête pour l’histoire d’Amanzi. Il mêle constamment les différentes années sur laquelle s’étend son histoire, multiplie les allusions à des événements futurs.
C’est ce qui en fait un roman prenant. Peut-être certains seront-ils déçus par le dénouement avec ce qu’il comporte de frustrations et d’artifices. Il n’en reste pas moins un roman extraordinaire.
[1] D’où le titre afrikaans originel, Koors.
[2] En fait Hobbes a écrit que l’homme était à la fois un dieu et un loup pour l’homme.
[3] Parlant de résolution, je ne puis me résoudre à adopter l’utilisation du point pour accorder les adjectifs. Non par sexisme, mais par esthétisme. Je lui préfère (au point) le changement de la grammaire et l’accord avec le dernier pluriel.