Accueil > TGBSF > S- > Sémiosis
Sémiosis
dimanche 4 octobre 2020, par
Sue BURKE (1955-)
Etats-Unis, 2018
Albin Michel, coll. « Imaginaire », 2019, 437 p.
Il est temps de battre ma coulpe. Il y avait eu pas de mal de livres de SF refermés à la fin sur un sentiment mitigé et trop de livres de SF refermés au bout de quelques pages faute d’envie de ma part ou de capacité du livre à me retenir, et ce même s’ils sont des succès récompensés tels que La cinquième saison de N. K. Jemisin ou l’acclamé Trop semblable à l’éclair d’Ada Palmer. Sémiosis a bien failli connaître le même sort.
Quittant une Terre en train de se détruire, 51 colons gagnent au terme d’un voyage de 158 années une planète de la constellation des Gémeaux avec pour idéal de fonder une société qui éviterait les erreurs commises jusque là par l’humanité. Avant même d’arriver, la planète a été baptisée Pax et une constitution à laquelle il fallait adhérer a été rédigée. Rapidement les choses deviennent difficiles : à cause d’accidents, d’imprudences, dans les premiers temps, les colons se retrouvent réduits à une trentaine. Ils découvrent alors que les végétaux de Pax sont capables de faire évoluer leurs fruits. Quand la deuxième génération arrive à l’âge adulte, les tensions apparaissent, mais elles donnent naissance à des drames quand la jeune génération découvre que l’ancienne lui a caché l’existence d’une cité abandonnée à l’intérieur des terres. Cité vers laquelle les Pacifistes déménagent, puis entrent en contact avec un bambou, doué de conscience, qui vivait avec les précédents occupants, une espèce venue de l’espace comme les Terriens et que ceux-ci nomment les Verriers. Progressivement, la communication avec le bambou se développe. Un siècle après leur arrivée, les Pacifistes entrent en contact avec un groupe de Verriers qui survit à peine, ce qui menace la société humaine dans sa cohésion et dans son existence même.
Ainsi que le titre l’évoque - la sémiosis en linguistique correspond grossièrement à l’opération de production de la communication -, et comme l’éditeur français a crû bon de le signifier en dotant son édition d’un sous-titre en page de garde pourtant absent de l’édition américaine, Sémiosis est un roman traitant du contact entre l’humanité et une intelligence extra-terrestre. Sue Burke a poussé très loin sa thématique, car le contact est double dans son roman : il y a d’une part contact avec un végétal et par son intermédiaire avec d’autres végétaux. Il y a d’autre part contact avec des espèces animales plus (les Verriers) ou moins (les animaux) développés en intelligence. EN fait tout le monde communique plus ou moins avec tout le monde. Le récit fait donc feu de tout bois quant aux modes de communication : écriture, sons, odeurs, couleurs, sans toutefois heureusement basculer dans un propos de scientificité linguistique.
Pourtant, les sciences dures ne sont pas absentes quand est abordé le fonctionnement des végétaux. Svetland, le bambou, évoque à plusieurs reprises la manière dont il fait telle ou telle action en produisant des molécules à partir de la photosynthèse, de processus d’oxydo-réduction. Sans être un roman de hard science, écrit par une auteure qui a priori n’est pas une botaniste, Sémiosis s’avère extrêmement convaincant aux yeux du profane et laisse rêveur et songeur quand à ce que l’humanité pourrait faire sur Terre en utilisant mieux les plantes.
Mais le livre de Sue Burke ne parle pas que de communication. Selon moi, il parle aussi de politique ou plutôt d’éthique et de politique. A de multiples reprises les protagonistes sont confrontés à des choix posant des problèmes moraux. Cela n’a rien d’étonnant, mais les solutions adoptées ne sont pas toujours celles que la morale approuve. Quand les uns dissimulent des informations aux autres, ils le font pour de bonnes raisons, parce qu’ils considèrent que c’est dans l’intérêt général. Cela peut déboucher sur une krisis tels que les Grecs anciens l’entendaient, à savoir une décision, un jugement brutal. Sans être le thème dominant du livre, il me semble que la politique occupe une place importante dans la trame du livre.
Cependant la valeur de celui-ci réside aussi dans sa forme. Bien qu’une bonne partie du roman se déroule dans les années 106 et 107 de la colonisation terrienne, il s’étale tout au long de ce premier siècle, et, pour ce faire, se découpe en plusieurs chapitres adoptant à chaque fois un narrateur différent et parfois même deux, l’un étant le bambou. La construction est très efficace : elle permet de personnaliser l’histoire qui n’est ainsi pas le fait d’un narrateur omniscient plus impersonnel donc plus froid ; elle donne aussi l’impression de produire différentes petites histoires au sein de la grande, évitant ainsi de perdre le lecteur.
A ces qualités, j’ajouterai celle plus matérialiste d’une édition française ayant choisi une couverture, due à Manchu, moins flippante que celle de l’édition originale, et plus conforme à l’atmosphère du livre, prenante mais pas horrifique
Alors, je ne sais pas encore si Sémiosis m’a réconcilié avec le space opera. En tout cas, je le tiens indubitablement pour un roman de grande qualité qui m’a procuré un vrai plaisir de lecture.