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American Elsewhere
dimanche 13 décembre 2020, par
Robert JACKSON BENNETT (1984-)
Etats-Unis, 2013
Albin Michel, coll. « Imaginaire », 2018, 784 p.
Robert Jackson Bennett est encore peu connu chez nous : il avait déjà eu l’honneur d’une traduction en 2013, avec Mr. Shivers (livre malheureusement épuisé, et dont il n’existe aucune version numérique), mais les choses semblent être en train de s’accélérer ces dernières années : la collection du Bélial « Une heure-lumière » a proposé Vigilance, un texte coup de poing, tandis que Gilles Dumay livrait dans sa collection American Elsewhere, un excellent roman.
Tout se déroule autour de la petite ville de Wink, située en plein cœur du Nouveau Mexique. Une bourgade américaine dans ce qu’elle a de plus typique, de plus archétypal même, mais où des phénomènes étranges se produisent. C’est ce que découvre Mona, une policière dont le père vient de mourir en lui laissant la propriété d’une maison à Wink. Celle-ci avait appartenu à sa mère, qui s’est suicidée en 1983. Mona décide donc d’en prendre possession, un moyen pour elle de surmonter un traumatisme personnel dont elle peine à se remettre, et également d’en apprendre davantage sur cette mère qu’elle a toujours connu dépressive. Très vite, ses rencontres avec certains habitants la confrontent à une série de mystères : une femme qui n’a visiblement pas vieilli depuis les années 1970, et qui lui montre deux miroirs jumeaux aux pouvoirs singuliers ; un gérant de motel passant son temps à jouer avec un adversaire invisible, et qui ne peut évoquer certains sujets tabous… Il faut dire que Wink a abrité, dans les années 1970, un laboratoire établi sur la mesa surplombant la ville, dans lequel la mère de Mona a visiblement travaillé, à un haut niveau qui plus est.
La lecture d’American Elsewhere nous emmène d’abord dans un univers proche de ceux de Stephen King. Une petite ville qui cache d’inavouables secrets, des fantômes, des créatures rodant autour de Wink évoquant les monstres de Lovecraft… et puis, au mitan du roman, lorsque Mona arpente les couloirs vide du centre scientifique déserté, on bascule clairement dans la science-fiction, d’autant qu’une série de documents d’époque sont reproduits, ceux là mêmes que Mona a découvert. Car le laboratoire – claire allusion aux mythes tournant autour du Nouveau Mexique, Roswell et cie – réalisait des recherches afin de créer une communication entre notre univers et d’autres, voisins, application directe de cette théorie du multivers désormais revenue à la mode. Robert Jackson Bennett se lie ainsi, à la fois aux évocations de formes de vie croisant la nôtre sans forcément les voir (chez Rosny aîné ou Serge Lehman avec « L’inversion de Polyphème ») et aux topoi lovecraftiens, qu’il sait habilement renouveler (la fameuse arrivée des Grands Anciens et la folie qu’ils engendrent). La dimension familiale de ces entités permet, en miroir, d’interroger les silences et les traumatismes que bien des familles abritent en leur sein.
Il confronte également l’illusion du rêve américain, de son bonheur suburbain qui n’est finalement qu’une simple façade. Tout cela est d’une efficacité certaine, mais aurait assurément pu être allégé d’un nombre conséquent de pages.