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Utopiales 20
dimanche 23 mai 2021, par
Jérôme VINCENT (1976-), dir.
France, 2020
ActuSF, coll. « Les Trois Souhaits », 392 p., préface d’Ariel Kyrou.
En dépit des rebondissements que nous a réservés cette année 2020, des obstacles dressés devant les passionnés de littératures de l’imaginaire, les éditions ActuSF maintiennent haut le flambeau et proposent une nouvelle anthologie officielle du festival nantais des Utopiales, exclusivement franco-française. Cette édition était placée sous le signe des traces, thème comme souvent suffisamment lâche pour autoriser tous les traitements.
« Une forme de démence », de Lionel Davoust, déjà publié il y a quelques années (dans l’anthologie des Imaginales 2017, Destinations), est une magnifique entrée en matière : le récit de cette archiviste s’attaquant au travail de toute une vie, celui d’un écrivain prototype de l’auteur de fantasy (on y reconnaît la figure de Tolkien, mais pas que…) et créateur d’un univers à succès, est à la fois une ode à la puissance de l’imagination, une évocation touchante de la maladie d’Alzheimer et une réflexion vertigineuse sur la nature de l’écriture fictionnelle. « La piste des oiseaux », de Morgan of Glencoe, est à peine moins brillant. Si le monde qu’elle décrit, celui d’une Terre embrasée par les effets du réchauffement climatique, paraît manquer d’originalité, elle parvient à y insuffler beaucoup d’humanité, grâce à une tribu d’enfants et d’adolescents réunis par le même amour pour les histoires d’oiseaux. Car dans ce monde de l’après, l’opposition qui se rejoue concerne encore une fois le pouvoir oligarchique, ici celui des Bibliothécaires, et le pouvoir démocratique au sens premier du terme. Ce faisant, Morgan of Glencoe réinterprète habilement le message de Fahrenheit 451. D’empathie avec ses personnages, il est également question dans « La mémoire de l’univers » de Nicolas Martin. Un texte très hard SF, dans lequel de jeunes scientifiques hétérodoxes tentent de percer les secrets de l’origine de l’univers à l’aide de savants dosages de diverses substances psychotropes. C’est par l’amour – homosexuel, ici – et la fusion bienveillante des intelligences qu’ils parviendront à leurs fins, offrant une vue plongeante sur la nature de l’infiniment petit, à donner le tournis. « Sommes-nous pieuvres ou vampires ? », de Ïan Larue, traite également de sentiments amoureux, de sexualité aussi, et si sa nouvelle n’évite pas certaines longueurs, c’est une lecture déjantée et un éloge plein de simplicité de la richesse des différences.
Très beau texte aussi que celui de Joëlle Wintrebert. « Te retrouver » est une variation sur le thème des rapports humains-machines, traité sur un mode profondément humain et touchant, celui d’un couple vieillissant, déséquilibré par la sénescence de l’un. D’apparence tout aussi classique, « La présence » de Claude Ecken se penche sur la traditionnelle rencontre avec une intelligence extra-terrestre. Mais sa prose, qui mêle personnages à l’authenticité palpable, développements scientifiques très techniques et compréhension inter-espèces aigue, a tout pour séduire. Thomas C. Durand, lui, suit la trace de l’absurde, à travers une histoire de fantasy décrivant une civilisation où le chapeau a un statut cardinal. Les recherches archéologiques pour tenter d’élucider ses origines sont un pied de nez aux priorités définies par certaines « élites » auto-proclamées. « The agony in the ectasy » de Sarah Doke évoque de manière très allusive et sans doute trop brève des êtres se nourrissant de musique. « T.H.R.A.C.E.S. », signé Christophe Dougnac, brosse un tableau intéressant du futur, une société du contrôle généralisé, incluant également celui des rêves, une brigade très spéciale étant chargée d’y intervenir afin de dissiper les cauchemars, obstacle à l’équilibre optimal de la main d’œuvre. Mais ce potentiel n’est que survolé, à travers le sort tragique d’un fils perdu dans les limbes pour avoir déployé tout son savoir-faire afin de sauver son père… De même, « Les 5 marques » de Baptiste Beaulieu explore un terrain prometteur, celui d’un fantastique nourri de complotisme, gravitant autour de ce trou noir que représente toujours la mort, mais le traitement manque en partie de robustesse.
Si l’on ajoute à toutes ces nouvelles deux essais stimulants, l’un d’Adelaïde Legrand sur les jeux, l’autre de Caroline de Benedetti sur le polar (et ses liens avec la science-fiction), ainsi que la préface d’Ariel Kyrou, auteur d’un essai incontournable chez le même éditeur (Dans les imaginaires du futur), on aura compris que ces Utopiales 20 constituent une lecture majoritairement roborative.