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Khéna et le Scrameustache (Le Scrameustache, 1ères aventures)

dimanche 26 décembre 2021, par von Bek

GOS (1937-)

Belgique, 1972-1975

Dans le numéro 1806 du Journal de Spirou du 23 novembre 1972 paraissaient les premières planches des aventures du Scrameustache et de son ami Khéna. Gos, pseudonyme de Roland Goossens, n’avait jusque là « que » contribué aux œuvres d’autres artistes [1], certes pas petitement puisque depuis 1969 il assure le dessin de Gil Jourdan, Maurice Tillieux en conservant le scénario [2]. Avec L’héritier de l’Inca, le dessinateur belge se doutait-il que non seulement il lançait la première série qui lui fut propre, mais que celle-ci allait être sa seule série, mais promise à une longévité dont on ignore encore l’issue, le quarante-quatrième album étant paru en 2019.

Le succès a sans douté été porté par une productivité assez soutenue : les trois premières aventures paraissent en l’espace de moins de deux ans et demi, même si l’édition en album connait un léger décalage, Le continent des deux lunes, troisième album, n’étant publié sous ce format qu’en 1976 soit un an après sa prépublication. Dans les dix premières années, Gos réalise seul (ou du moins est-il le seul crédité) pas moins de douze albums. Entre 1972 et 1977, paraissent donc les cinq premières aventures : L’héritier de l’Inca (1973), Le magicien de la Grande Ourse (1974), Le continent des deux lunes (1976), Le totem de l’espace et Le fantôme du cosmos (1977) [3]. Or, les histoires de ces cinq premiers volumes contiennent l’esprit de la série que je résume en trois caractéristiques : la science-fiction, le réalisme fantastique et un humour potache.

Une série de science-fiction

Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, il est peut-être temps de le dire, le Scrameustache est un être unique, qui sous les yeux des lecteurs a pu apparaître comme un croisement entre un chimpanzé - il est un bipède mais quadrumane - et un félin - il en a la tête et les moustaches -, la somme des deux en faisant un être très agile. Cependant, s’il a l’apparence d’un animal, le Scrameustache a une intelligence supérieure. Cependant, être unique, le Scrameustache a pour nom celui de son espèce et Khéna l’appelle aussi bien Scrameustache quand il lui parle, qu’il parle du Scrameustache quand il parle de lui. Bien plus tard, Gos reviendra sur la genèse de sa créature en lui donnant une origine. C’est l’album D’où viens-tu, Scrameustache ?, dix-huitième volume de la série, paru en 1989.

La science-fiction de la série est à l’aune du public visé, à savoir la jeunesse. Le souci n’est pas de s’appuyer sur des bases scientifiques solides, mais Gos se fixe des contraintes, souvent pour des raisons narratives. Il faut lui reconnaître beaucoup de créativité : la série abonde en véhicules divers et variés et en technologie. Au début, cela se limite cependant à ce dont dispose le Scrameustache, c’est-à-dire une soucoupe personnelle et tout un équipement parmi lequel il faut surtout mentionner pour l’instant le passe-partout, un véhicule biplace (ce détail joue un rôle) au design aérodynamique et équipé de tout un tas de gadgets. Ainsi le pion est un appareil à même d’inculquer n’importe quelle langue à n’importe qui (même les chiens) en un temps record. Le passe-partout héberge aussi Tobor, un robot quadrupède chargé de la sécurité et capable de paralyser ou de changer en statue de sel n’importe quel être vivant. Le casque du Scrameustache dispose de la même capacité en plus d’assurer des fonctionnalités de télécommunication.

Extra-terrestre, le Scrameustache est amené à s’arrêter sur la Terre pour y effectuer une réparation, mais au cours de son séjour, il est découvert par Khéna, un jeune garçon qui vit avec son oncle, Georges Cailleaux. C’est parce qu’il résiste à au pouvoir d’un rayon paralysant que Khéna et le Scrameustache font connaissance, point de départ d’une aventure qui va les mener jusqu’au Pérou et d’une amitié qui les mène plus loin encore. S’il est indéniable que l’un ne va pas sans l’autre, c’est pourtant bien le Scrameustache qui prend le pas, car il est de loin le plus fascinant des deux, et il est celui par qui arrive l’aventure. Cependant, pour ces cinq premières aventures, la série s’appelle Khéna et le Scrameustache.

Peut-être l’appartenance du jeune marin Roland Goossens à un service chargé de répertorier les déclarations des pilotes qui auraient vu des OVNI l’a-t-il marqué. Toujours est-il que L’héritier de l’Inca s’ouvre justement sur des rumeurs d’OVNI autour de Chambon-les-Roses, village de résidence de Khéna et de son oncle. Dans les épisodes suivants, Gos revisite des thèmes phares de la science-fiction de l’époque telle que l’invasion (Le totem de l’espace) et la visite extra-terrestre (Le fantôme du cosmos), la découverte d’autres planètes (Le Continent des Deux Lunes). L’univers science-fictif de la série s’élargit donc rapidement et n’est pas confiné à la Terre, mais les premiers extra-terrestres visibles sont soit des animaux plus (les Accusmalas) ou moins (les Ramouchas) dotés d’intelligence, les premiers étant capables de parler et construisant des bâtiments, soit des Humains (les habitants du continent des deux lunes ou les visiteurs du Fantôme du cosmos. Les envahisseurs du Totem de l’espace n’apparaîtront physiquement que dans des aventures ultérieures.

On l’aura compris la science n’est pas le principal sujet en arrière-plan des aventures du Scrameustache, d’ailleurs, s’il y a un message dedans, il ne sera manifeste que bien des années plus tard. Comme toute BD destinée à la jeunesse paraissant à l’époque, elle évite soigneusement de choquer ; elle ancre clairement les personnages dans le bien ou le mal, sans rédemption. La science-fiction est un cadre exotique pour amuser et faire rêver le jeune lecteur et, dans ce même but, Gos n’hésite pas à puiser dans le fantastique.

Une série proche du réalisme fantastique

A l’instar de nombreux scénaristes de science-fiction et peut-être encouragé par l’une des tâches qui lui a été impartie au cours de sa carrière militaire, c’est-à-dire répertorier les apparitions d’OVNI pour l’OTAN, Gos nourrit ses aventures de l’histoire secrète : les visiteurs extra-terrestres à la technologie bien plus avancée ont joué un rôle dans l’histoire humaine. Dans L’héritier de l’Inca, il imagine une surveillance de la Terre par une civilisation extra-terrestre qui se tient informée par une série d’enregistreurs répartis sur le globe et bien sûr il utilise la théorie, alors encore récente, du Suisse von Däniken qui fait des géoglyphes de Nazca des pistes d’atterrissage des OVNI. Dans Le fantôme du cosmos, le lecteur apprend que l’agriculture aurait été enseignée aux hommes par une autre civilisation.

Cependant, dès le deuxième tome, Le magicien de la Grande-Ours, Gos a franchi une autre étape, celle du fantastique. Il y imagine qu’un être maléfique doté de pouvoirs qu’il explique par une pirouette pseudo-scientifique de réorganisation des molécules, a été pétrifié et déposé sur Terre. En vertu de la troisième loi de Clarke [4], Falzar est donc un magicien. Libéré par inadvertance, il va poser bien des problèmes au Scrameustache qui va chercher de l’aide dans une autre dimension. Toujours dans le même volume, Gos met en scène la restauration d’un cromlech par une main d’œuvre réduite grâce à une méthode consistant à, selon les explications du Scrameustache, « changer cette fréquence [de vibration que possède tout corps] de sorte qu’elle s’oppose à celle du champ de gravitation terrestre. Alors cette masse flotte ». Et de préciser que « quoiqu’en pense certains savants obtus, c’est avec cette méthode qu’on été construites les pyramides ». Histoire secrète toujours, donc, mais qui penche sérieusement vers l’ésotérique et l’occulte, auxquels Le fantôme du cosmos vient ajouter une sérieuse dose de spiritisme mâtinée de spiritualité orientale.

Tout cela fait penser au livre Le matin des magiciens, écrit par Louis Pauwels et Jacques Bergier en 1960, et à son réalisme fantastique qui a nourri la collection « L’aventure mystérieuse » de chez J’ai Lu ainsi qu’aux écrits du Suisse Erich von Daniken. Fort heureusement, de par son ton peu sérieux, l’œuvre de Gos ne saurait passer pour un manifeste de ce courant de pensée. Il n’en reste pas moins que cette tendance baigne toute la série et l’artiste belge n’a pas donné par hasard l’archéologie comme profession à son personnage de l’oncle Georges, cette science étant une source inépuisable d’inspiration.

En toute logique, la question des origines apparaît de manière redondante dans les histoires, la première étant celles de Khéna, enfant adopté recueilli au Pérou, et à propos duquel le lecteur apprend, en toute fin de L’héritier de l’Inca que plane une origine mystérieuse qui fournit ensuite matière à l’intrigue du Continent des deux lunes avant des développements ultérieurs. De même la question des origines d’autres personnages, en particulier les Galaxiens, sera traitée dans d’autres volumes.

Un humour potache

Ajoutons enfin que l’ensemble baigne dans un humour très potache, Gos semble affectionner les jeux de mots faciles et les gags visuels. On peut se demander si c’est un caractère propre à l’auteur, car, dès lors qu’il participe à Gil Jourdan, série qui se signalait déjà par les jeux de mots bons marchés de l’inénarrable Libellule, les gags visuels s’ajoutent à ces derniers. Peut-être s’agit-il de produire un humour accessible à tous et donc pas trop spirituel ?

Ainsi, les ramouchas, animaux du Continent des Deux Lunes capables de générer un courant électrique, s’avèrent une création bien pratique, à même aussi bien de constituer une aide pour dénouer les situations que de donner lieu à des blagues. Ils adorent en effet électrocuter légèrement les gens pour rigoler. Si le Scrameustache est leur cible, il faut quand même reconnaître que les personnages « sérieux » de la série (l’oncle Georges, les personnages secondaires) le sont bien davantage, et encore plus quand il s’agit de quolibets : Ozène Pen Du, doté d’une tête de taureau par Falzar, recevra du Scrameustache son lot de blagues en plus de son aide. Les Accusmalas se révèlent les supports comiques du Totem de l’espace. On pourrait multiplier les exemples. Cependant, dans ses premiers albums, certaines limites ne sont pas encore franchies...

Conclusion

Science-fiction, réalisme fantastique et humour forment les trois ingrédients d’un cocktail qui a fait ses preuves avec le temps. On l’a dit le succès a été au rendez-vous, et précocement. Gos et ses personnages font ainsi partie des invités de la première saison de La bande à Bédé, l’émission consacrée au 9ème art de Récré A2 diffusée à partir de 1980. Il est aussi durable : en 2009, une fresque murale consacrée à la série est intégrée au parcours BD de la ville de Bruxelles. Mais avant d’en arriver là, il faudra parler des Galaxiens...


[1Exception faites de bandes dessinées réalisées pour les soins de la revue officielle des forces militaires belges nous apprend wikipedia. cf article « Gos » de l’encyclopédie en ligne.

[2...il n’est peut-être pas étranger au scénario du premier album issu de leur collaboration : Gil Jourdan et les fantômes est en effet l’album le plus marqué par la science-fiction de toute la série.

[3Les dates sont celles de la publication en albums.

[4« Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. »

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