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Rivage des intouchables

dimanche 6 février 2022, par Maestro

Francis BERTHELOT (1946-)

France, 1990

Denoël, coll. « Folio SF », 318 p., 2001.

Francis Berthelot fait partie de ces auteurs qui ont commencé à briller au firmament de la science-fiction au cours de la décennie 1980. Partie prenante du projet Limite, il se distingue d’Emmanuel Jouanne ou de Jacques Barbéri par une prose plus abordable, bien que raffinée et extrêmement poétique (belle image que celle de ces sculptures de mots), qui brille tout au long de ce Rivage des intouchables ; il a d’ailleurs obtenu le Grand prix de la science-fiction française en 1991.

L’intrigue se déroule sur une planète, Erda-Rann, qui présente la particularité d’être découpée en deux écosystèmes antagoniques, une terre désertique, aride et rigide, et un océan gélatineux, le Loumka, se rapprochant beaucoup de celui du Solaris de Stanislas Lem. Sur ce monde duel, vivent deux races extra-terrestres, les Gurdes, écailleux et rationnels, adaptés à l’environnement terrestre, et les Yrvènes, plus aquatiques, plus instinctifs également. L’action du roman se déroule quelques années après une guerre terrible qui a opposé les deux peuples, autour d’Arthur, un jeune Gurde muré dans le silence, et Cassian, un Yrvène légèrement plus âgé qui l’entraîne sur le chemin de la transgression. Dans ce monde revenu à une paix fragile, le contact entre les deux races est en effet interdit, ce qui suscite l’apparition de groupes contestataires, avides de réconciliation, dont Cassian devient un des leaders. Leur développement et leur militantisme finissent par pousser le gouvernement à abandonner l’interdiction de tout contact, ce qui laisse libre cours à la multiplication de couples mixtes (les transvers), mais également à la pose d’écailles gurdes pour les Yrvènes et de pigments yrvènes pour les Gurdes (les transcrits). Jusqu’au jour où un mal inexpliqué commence à bouleverser le métabolisme d’un nombre croissant de transvers, les tuant à l’issue d’un long et personnalisé processus d’agonie, comme si leur mal-être et leurs névroses les plus enfouies revenaient les torturer à la surface de leur peau.

Bien sûr, à travers cette histoire extrêmement touchante, Francis Berthelot déploie, sous ses masques à l’esthétisme vitaliste, une métaphore de l’épidémie du SIDA. On y retrouve les communautés homosexuelles, voire transsexuelles, d’abord en pointe dans la lutte contre les conservatismes et pour toutes les audaces (Arangwad est ainsi le San Francisco de Erda-Rann), artistiques ou sexuelles, avant qu’une mystérieuse maladie, habilement surnommée épidermie, ne décime ces groupes, soumis en outre à la répression d’un Etat poussé par des groupes extrémistes évoquant furieusement le Front national (pensons aux sidaïques de sinistre mémoire et à la volonté de leur mise à l’écart) et plus généralement les forces politiques conservatrices ou réactionnaires (Race à Part, l’un de ces groupes les plus en pointe dans la haine, arbore d’ailleurs un étendard bleu, blanc et brun).

Mais si l’on élargit la focale, on peut également voir dans Rivage des intouchables une illustration de l’impasse de la révolution, sous la forme de cette contestation transverse trop avide de changements rapides, forcenés, au risque de bousculer les équilibres traditionnels, mais également de mettre sens dessus dessous l’inconscient collectif et par-delà la nature. La fin du roman voit d’ailleurs triompher l’amour, un amour issu du trio de personnages principaux, comme pour montrer que l’issue passe par la construction de nouveaux équilibres familiaux…

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