Accueil > TGBSF > M- > Marche ou crève

Marche ou crève

Nous partîmes cent, et par un long effort, nous nous vîmes un en arrivant au port

dimanche 3 avril 2022, par von Bek

Stephen KING (1947-)

Etats-Unis, 1979, The Long Walk

France, 1989

Je ne sais pas si Stephen King parle le français. Sans doute un peu, si l’on considère qu’il est originaire du Maine, état qui comportait jusqu’aux années quatre-vingt du siècle dernier environ 9 % de francophones et état dont il a fait le théâtre d’une grande partie de ses histoires, Marche ou crève ne faisant pas exception, le roman contenant même quelques phrases en français dans le texte, selon la formule éditoriale consacrée. Je ne peux m’empêcher de penser en tout cas que le titre français de The Long Walk lui va comme un gant, mieux même que son titre original...

Car il s’agit littéralement de cela : de marcher ou de crever. Tous les ans, s’organise aux Etats-Unis une épreuve durant laquelle cent jeunes hommes marchent sans s’arrêter, sans rebrousser chemin, sans descendre en dessous de 6,5 km par heure et sans quitter la route, sous peine, trente secondes après le troisième avertissement, d’être abattu sur place, sans pitié, par les escouades qui accompagnent la marche en half-track. Des cent, il ne doit en rester qu’un qui empochera un prix faramineux. Est-ce cette perspective qui motive les candidats ? Chose importante, ceux-ci sont tous volontaires et ont la possibilité jusqu’à la veille du départ le 1er mai de renoncer. Ray Garraty n’a pas renoncé et au-travers de ses sens et de ses sensations le lecteur est dans la marche.

Marche ou crève m’a laissé sur ma faim. D’une part, il y a ce qui est indéniablement une réussite dans laquelle, derrière un roman bien construit qui commence dans une ambiance tendue mais bonne enfant, puis bascule progressivement et lentement dans l’horreur au fur et à mesure où les candidats s’épuisent, craquent, disparaissent, Stephen King dénonce le démon du jeu - les chapitres portent en épigraphes des extraits de jeu télévisés pour la plupart - et encore plus le sordide voyeurisme de la foule qui se presse au bord de la route pour acclamer les marcheurs, mais aussi les voir mourir. En ce sens, il évoque Running Man, un roman ultérieur aussi publié sous le pseudonyme de Richard Bachman.

D’autre part, il y a cette envie d’en savoir plus. Ainsi les raisons pour lesquelles concourent les marcheurs, dont on ne peut que penser qu’ils sont suicidaires, ne sont pas clairement établies. Ray Garraty ne dit jamais qu’il est poussé par l’appât du gain, lui qui est prêt à perdre l’amour de son amie en perdant la vie. Et pour d’autres, c’est encore pire. Bien sûr, l’humain n’est pas toujours rationnel, n’en déplaise à quelques économistes. Plus frustrante est l’absence d’explication quant à l’existence de cette course.

Le contexte n’est pas précisément décrit, mais certains détails sont très précis. L’article Wikipedia du roman évoque le caractère totalitaire du roman, mais absolument rien ne laisse entrevoir cela. Je le redis, les concurrents sont tous volontaires et leur participation ne se concrétise qu’à l’issue d’épreuves psychologiques et physiques assorties d’un tirage au sort pour départager le trop grand nombre de candidat ! La société n’a pas l’air militarisée, même si le héros a vu son père versé dans les escouades nationales, celles qui escortent la course, suite à des actions douteuses. Le commandant qui encadre l’événement et fait quelques apparitions ponctuelles, sert davantage d’exutoire à la haine croissante des marcheurs, après avoir été le destinataire de l’admiration de beaucoup d’entre-eux. Aussi faut-il certainement y voir une image critique de l’autorité, mais pas une dénonciation paranoïaque de l’Etat. Nous sommes plus prêts de la mentalité contestataire des déserteurs de la guerre du Vietnam et des années soixante, que de l’apologie d’un libertarianisme qui transportera une foule le 6 janvier 2021.

Plus intrigant encore à mes yeux, les Etats-Unis de Marche ou crève sont uchroniques. Il y est fait référence aux bombardements allemands sur la côte des Etats-Unis à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis à la prise d’assaut par l’armée de la base nucléaire allemande de Santiago en 1953. Il semble qu’après la guerre, il n’était plus possible d’être millionnaire. Mais Stephen King n’ajoute rien d’autre, et il s’agit d’un roman que King a écrit dans sa jeunesse étudiante avant de pouvoir le publier dix ans plus tard, la même année que Shining. On peut donc y voir un roman secondaire... et regretter que la dystopie ne soit pas davantage creusée !

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d'indiquer ci-dessous l'identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n'êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions'inscriremot de passe oublié ?