Roulette mousse

Jean-Pierre HUBERT (1941-2006)

France, 1987

Denoël, coll. « Présence du futur », 192 p.

Durant les années 1980, Jean-Pierre Hubert était à l’apogée de sa créativité, avant que la reconnaissance somme toute contenue dont il bénéficia, ainsi que le changement de contexte éditorial, ne l’incite à s’orienter plutôt vers la littérature jeunesse, nécessairement plus contrainte et formatée. Roulette mousse en est un bon échantillon, puisqu’il s’agit d’un recueil de six nouvelles, dont la moitié avait déjà été publiée auparavant sur des supports de presse (la majorité de ces textes avait été d’ailleurs reprise dans l’excellente anthologie de Richard Comballot, Dimension Jean-Pierre Hubert).

« Roulette mousse », sous des dehors légers, ceux des récits successifs de condamnés à une mort possible par roulette mousse pour non-respect d’une nouvelle prohibition, est en réalité une défense de la prise de risque, de la mise en danger personnel, face à un principe de précaution rampant et à un individualisme qui est en même temps anonymat dans la masse exploitée ; l’ébriété, en ce sens, davantage qu’une fuite, est quête de sens et espoir de renouer avec des valeurs authentiques et généreuses. «  Ivresse choréique » est sans doute la nouvelle la moins marquante du recueil. Cette évocation d’une société future dans laquelle la danse est devenue un élément majeur de sociabilité est certes intéressante et originale, mais on n’a pas suffisamment le temps d’en comprendre les tenants et les aboutissants, à travers cette seule histoire d’alliance (amoureuse ?) pleine d’implicite…

« Gélatine » est une grinçante évocation de fin du monde, l’humanité toute entière étant engluée dans une gélatine d’origine inconnue, qui maintient les cadavres dans un état de stase provisoire. Jakob, seul survivant visible de cette disparition d’une espèce, incarne finalement le loup néo-libéral poussé à l’extrême, condamnée à se nourrir de ses -anciens- semblables ; il y a une part de misanthropie et de ricanement à l’égard des religions du livre dans ce retournement du mythe de l’échelle de Jacob, tournée ici vers une Terre bien réelle et cruelle. Sur une thématique également post-apocalyptique, « Tout au long de l’île au long de l’eau » est paradoxalement plus étouffante, plus boueuse, décrivant l’itinéraire d’un enfant que la vie n’a pas gâté, et qui s’efforce de survivre dans un monde en déliquescence, croisant un attardé mental travaillant dans une décharge récupératrice de métaux ainsi qu’un pseudo explorateur spatial à la recherche de formes de vie survivantes…

Autre texte mettant en scène un culte d’ordre religieux, « Disciple ? », où le gourou est un artiste novateur, maintenu en état d’animation suspendue afin qu’il puisse poursuivre son œuvre. Ses disciples sont alors invités à intégrer un de ses états de stase, au cours desquelles il se replonge dans son passé. C’est ainsi que le narrateur se retrouve comme enfermé dans une boucle temporelle, éternelle revisitation d’une occasion de rencontre sensuelle inexploitée, comme une concrétisation de cette tendance au regret qui nous habite tous. On peut en rapprocher « Les quais d’Orgame », très beau conte fantastique, qui voit un homme insatisfait de sa vie prendre le train pour Orgame, mystérieuse cité que l’on n’atteint pas toujours, et qui matérialise en réalité le rêve d’une vie meilleure, d’un idéal inaccessible ou qui nous absorbe jusqu’à la dissolution…

Sans être le meilleur ensemble de nouvelles de Jean-Pierre Hubert, Roulette mousse en est une coupe plutôt représentative, traversée par les thèmes récurrents de l’auteur, la recherche d’un ailleurs illusoire plus accueillant, la désespérance de l’humanité, l’embrasement du couple…