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Pour nourrir le soleil

dimanche 13 novembre 2022, par Maestro

Pierre BAMEUL (1940-)

France, 1986

Fleuve noir, coll. « Anticipation », 192 p. chaque volume : réédition en un seul volume chez L’Ivre-Book, coll. « e-anticipations », 2017.

La collection Anticipation du Fleuve noir est un véritable musée de la science-fiction à elle toute seule. Lorsqu’on parcourt ses salles et scrute ses vitrines, ce sont les différentes tendances du genre dans sa version française que l’on redécouvre, avec parfois des gemmes recouvertes d’une épaisse couche de poussière. Qui se souvient par exemple de l’uchronie de Pierre Bameul, exposée sous la forme d’un diptyque en 1986 ?

Dans La Saga d’Arne Marsson, nous suivons l’expédition entreprise par un jeune guerrier viking, Arne Marsson, au XIe siècle, peu de temps après la fondation d’une colonie au Vinland. Ayant découvert une mystérieuse pierre des trolls, sur laquelle un texte en langue runique gravé évoquait un empire du soleil situé au sud du Vinland, il décida de partir à sa découverte. Mais son voyage se heurte à une violente tempête, qui le laisse avec une poignée de compagnons : quelques fidèles combattants, sa femme Erika, son ami Franck, érudit et inventeur génial. Ensemble, ils vont être confrontés aux peuples d’une Amérique qui ne porte pas encore son nom, à la rencontre de leur destinée.

La Saga d’Arne Marsson ne manque pas de souffle. Les Vikings y affrontent d’abord les Autochtones du nord du continent, avant que Arne, grâce à la complicité d’un vieux chef, ne devienne leur souverain. L’uchronie prend dès lors son envol. Il faut dire, et c’est là une faiblesse de ce scénario, que ces Vikings disposent à la fois, grâce à Franck, de poudre venue de Chine et du feu grégeois des Byzantins ! Pour autant, Pierre Bameul semblant, comme Pierre Barbet (Setni) ou Alain Paris (Pangée) grand amateur de stratégie militaire, il nous régale des affrontements entre Vikings ayant fait leurs les tactiques de l’armée romaine, et peuples d’Amérique centrale.

Arne, modèle de meneur d’hommes mais également de politicien machiavélique, connaît ainsi une ascension fulgurante, finissant par conquérir la vaste cité de Teotihuacan (à cette époque, les Aztèques n’ont pas encore pris leur essor). L’auteur n’oublie pas le sens du tragique, avec un climax dramatique qui fait appel à un élément science-fictif s’apparentant à un deus ex machina, l’existence d’un voile noir dans l’espace résultant d’un cataclysme planétaire et qui lui permet de générer une éclipse de soleil prolongée… Ce premier volet se termine par la promesse d’un empire appelé à s’étendre encore davantage.

Le Choix des Destins réalise un bond dans le temps, se situant probablement dans notre XXe siècle. L’empire fondé par Arne Marsson est devenu prépondérant à la surface de la Terre, englobant toute l’Amérique et l’Europe, mais il est menacé de l’extérieur et de l’intérieur. Régi par une théocratie dictatoriale, il consume une partie de ses forces vives dans des sacrifices quotidiens destinés à apaiser le dieu du soleil. Le jour où Orana, sa belle épouse, fait partie des condamnés, Malic, un simple prolétaire, se révolte contre l’ordre établi et rejoint la rébellion organisée.

Au-delà du combat contre une société dictatoriale, et des clins d’œil parfois un peu trop appuyés (Gallix, version uchronique de notre de Gaulle), ce qui est intéressant, dans cet empire du soleil uchronique, c’est son refus d’accepter et d’intégrer la majorité des innovations scientifiques, sinon sous la pression des populations voisines. Pas de vaccins, pas de chemin de fer, pas d’énergie atomique. Pourquoi ? Pour la même raison qui sous-tend le maintien des sacrifices humains, enrayer toute surcharge démographique qui entrainerait des conséquences dramatiques sur le plan écologique. Un tel propos en 1986, voilà qui est audacieux, et plairait sans nul doute à un Jean-Pierre Andrevon !

Toutefois, Pierre Bameul ne poursuit pas son intrigue une fois l’empire abattu, ce que l’on peut trouver dommage. À la place, il joue sur les univers parallèles, faisant basculer Malic dans un continuum spatio-temporel apparenté au nôtre. Et à cet égard, il croise de nouveau des problématiques furieusement contemporaines, liées à la pensée décoloniale. Le principal protagoniste de cette réalité proche du nôtre est en effet un Mexicain d’origine autochtone, désireux de modifier le passé afin que son peuple d’origine puisse prendre sa revanche. L’existence du voile noir, dont on pouvait trouver l’existence anecdotique dans La Saga d’Arne Marsson, prend là toute son importance. Sans être un chef d’œuvre, Pour nourrir le soleil reste une uchronie sympathique, qui aurait certainement gagné à être plus développée dans son arrière-plan.

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