Accueil > CINECSTASY > M > LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS

LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS

...ou comment je n’ai rien compris au livre d’arrière-grand-papa

vendredi 29 mars 2002, par Maestro

Simon WELLS (1961-)

États-Unis, 2002, The Time Machine

Guy Pearce, Samantha Mumba, Jeremy Irons

Dire de ce film qu’il était attendu par un fana du père de la SF contemporaine comme moi reste en dessous de la réalité ! La déception engendrée par le précédent essai, dû à George Pal, il y a une quarantaine d’années, allait-elle être enfin effacée ? Le fait que le film soit confié à Simon Wells, le propre descendant de Herbert George Wells, remarqué pour son travail sur Le prince d’Égypte, pouvait sembler de bonne augure en ce qui concernait le respect de l’esprit de l’œuvre... Au contraire, les déclarations de toute une partie de l’équipe, à commencer par les producteurs, qui saluaient le métrage de Pal, souhaitant en faire un remake, généraient de nouveau l’inquiétude... Au final, c’est malheureusement cette dernière impression qui prédomine, et de très loin. Certes, les aspects visuels apparaissent globalement mieux réussis que ceux du film de Pal, progrès technologiques obligent. La machine, en particulier, possède une esthétique séduisante, bien que l’énergie solaire qui la propulse sonne très écologie contemporaine ; on retrouve même un levier ciselé et amovible directement tiré du roman (mais pourquoi l’explorateur ne le prend-il pas avec lui comme sécurité lorsqu’il arrive dans une nouvelle époque ?). Et son déplacement dans le futur, avec le mouvement du soleil et les changements extérieurs (trop dévoilés) s’avère plutôt réussi. Par contre, si le musée de 2030 peut éventuellement représenter un clin d’œil au palais de porcelaine verte du roman, exit les palais de marbre, la statue du sphinx blanc ou les puits menant dans les souterrains des Morlocks ; à la place, on se retrouve avec une architecture eloï plus proche des arts premiers, et un épouvantail métallique morlock particulièrement ridicule !

Le casting, quand à lui, laisse dubitatif, tant Guy Pearce (remarqué dans LA Confidential) incarne un explorateur temporel médiocrement convaincant. A l’inverse, le choix de la chanteuse Samantha Mumba dans le rôle de Mara (alter-égo de Weena) est une bonne chose, son aspect physique métissé s’intégrant bien dans les mélanges à venir imaginés par grand-père Wells... On pourrait par contre se plaindre de certaines libertés prises avec l’histoire originale. Ainsi, l’explorateur est doté d’un nom, apparaît comme distrait (quel cliché !), et l’action a été déplacée de Londres à New York, marché américain oblige ! Mais ce ne sont là, après tout, que des modifications mineures destinées à accrocher plus facilement le spectateur. De même, l’accent mis sur l’action n’est pas en soi gênant, si ce n’est qu’elle est très mal dosée, et qu’elle surtout le prétexte à la diffusion d’un thème cher aux États-Unis, le combat pour la liberté... Par contre, l’essentiel, le contenu politico-social, est une fois de plus dénaturé.

Ainsi, la dégénérescence conjointe des deux rameaux de l’espèce humaine est-elle oubliée, au profit d’une mise en valeur des Eloïs, qui sont présentés non seulement comme capables de construire des objets et des demeures relativement élaborées (ce dont ils étaient chroniquement incapables dans le roman), mais en plus comme d’innocentes victimes que l’explorateur du temps doit protéger. Que dire également de leur capacité à parler l’anglais, ou de leur aspect physique, à mille lieux de la petitesse et de la faiblesse des Eloïs du roman ! Il en est de même des Morlocks (qui évoquent plutôt les singes de la planète Burton), capables aussi bien de prouesses athlétiques que de survivre en pleine lumière, et vraiment, vraiment, cruels et sanguinaires. Ce n’est pas un hasard si Jeremy " Profion " Irons incarne leur chef, un chef qui possède même des pouvoirs télépathiques...

Ce manichéisme était pour le moins nuancé dans l’œuvre de Wells, puisque le voyageur éprouvait sympathie et dégoût à la fois pour les Eloïs et les Morlock, tout en considérant ces deux espèces comme globalement animales ; et sans nécessairement aller jusqu’à voir dans cette modification un éloge de la bourgeoisie décadente, on constate ici une dégénérescence des scénarios proposés par les Etats-Unis particulièrement préoccupante, voire symptomatique. Le seul message que l’on arrive à discerner, à travers la médiocrité dominante, c’est le danger du développement technologique à tout crin, au détriment d’un " développement durable ", qui peut conduire à la catastrophe ; les Morlocks, dans cette optique, incarnent également cette industrialisation aveugle. L’idéal ? Une société vivant en harmonie avec la nature, celle des Eloïs, donc... Une utopie aux relents quelque peu réactionnaires. Toute responsabilité sociale claire dans le recul de la civilisation est évacuée, et la division de l’espèce humaine en deux branches, pour être directement reprise du roman (en dépit de ses larges modifications), n’est pas suffisamment expliquée.

Plus fondamentalement, ce n’est plus l’amour de la connaissance qui motive l’élaboration de la machine, mais l’amour d’une fiancée trop tôt arrachée à la vie, suite à un accident. Se sentant coupable, Alexander le scientifique se met à élaborer une machine qui lui permettrait d’éviter ce qui lui apparaîtra en fait, après un bref retour dans le passé, comme inévitable et non modifiable Le voilà donc parti dans le futur (soi disant pour trouver la réponse à ses questions, mais quelles questions ?), où il trouvera finalement la famille qu’il n’avait pas pu avoir, en la personne de la jeune Eloï Mara et de son petit frère. La destruction de sa machine pour éviter un avenir dominé par les Morlocks (véritable deus ex machina, les Morlocks étant censés être implantés dans plusieurs colonies de par le monde...) confirme ce rôle central de l’amour éternel, et de la stabilité que donne la cellule familiale, même des centaines de milliers d’années après notre époque ! Un retournement complet de situation par rapport au roman, dans lequel l’explorateur temporel cherchait avant tout son salut dans la fuite, abandonnant même l’innocente Weena derrière lui (pour mieux aller la rechercher lors d’un second voyage ? C’est le point de départ des Vaisseaux du temps de Stephen Baxter).

Ah, qu’il est loin, le temps où les studios d’Hollywood, à la fin des années 60 et au début des années 70, mettaient en chantier des films de SF avec un vrai message politique (La planète des singes, Soleil vert, Le survivant...), plutôt que des divertissements où l’esprit d’aventure écrase la réflexion d’un livre majeur, en effectuant une véritable trahison des intentions de l’auteur. Peut-on encore espérer un troisième essai d’adaptation, réussi cette fois, avant l’an 802 701 ?


L’avis des EUX :

par von Bek

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d'indiquer ci-dessous l'identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n'êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions'inscriremot de passe oublié ?