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MINORITY REPORT
mercredi 16 octobre 2002, par ,
Steven SPIELBERG (1946-)
Etats-Unis, 2001
Tom Cruise, Max von Sydow, Colin Farrell, Samantha Morton
Génie méconnu lors de l’époque de sa vie la plus créatrice, Philip K. Dick n’aura pas eu la chance - ou le malheur, c’est selon - de connaître le succès que lui a procuré le cinéma, étant mort avant la sortie de Blade Runner, adaptation par Ridley Scott de la nouvelle "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" Depuis, avec la réussite partielle de Total Recall (Verhoeven, 1990), les travaux de K. Dick ont fait l’objet d’une véritable redécouverte. Sans doute était-il inévitable que Steven Spielberg, consacré par la presse meilleur réalisateur du monde (sic !), soit attiré par l’auteur d’Ubik après avoir adapté en A.I. une nouvelle de Brian Aldiss initialement retenue par Stanley Kubrick. Seulement, quand l’un des plus sombres et déjantés auteurs de science-fiction rencontre l’auteur le plus guimauve et conformiste du cinéma américain, il était loisible de craindre beaucoup et de s’inquiéter de ce qu’allait devenir la nouvelle originelle "Rapport minoritaire (1956)".
En 2054, le meurtre n’est plus à craindre dans le district of Columbia car une brigade spéciale, la pré-crime, exploitant les visions prémonitoires de trois humains, les précognitifs, maintenus dans un bain nutritif, peut intervenir et arrêter le meurtrier en devenir. Autant dire qu’avec une telle méthode le crime prémédité a disparu et le passionnel n’est guère furtif grâce à l’efficacité de l’inspecteur John Anderton (Tom Cruise) qui cherche ainsi à effacer son incapacité à prévenir la disparition de son fils unique. D’expérience locale, le projet porté par Lamar Burgess (l’excellent Max von Sydow) est sur le point d’être soumis aux votes des citoyens avant d’être étendu à tout le pays, si l’enquête de l’inspecteur Witwer (Colin Farrell) ne découvre aucune faille. Aussi quand l’inspecteur Anderton se voit sur les écrans abattre un parfait inconnu 36 heures dans le futur, croît-il avoir été piégé et n’a-t-il d’autre salut que dans la fuite et d’espoir dans la possibilité que la vision d’un des précogs ne s’avère explorer un autre futur possible, constituant de ce fait un rapport différent de ceux des autres précog, un rapport minoritaire...
Il faut reconnaître que pour l’occasion, Steven Spielberg a su se débarrasser partiellement de son encombrante obsession pour l’enfant. Partiellement seulement car l’enfant et la famille restent au centre de la théologie spielberguienne comme l’atteste d’une part le besoin de rajouter une tragédie familiale inexistante dans la nouvelle à la biographie de John Anderton et d’autre part, une fin grossière par trop évocatrice des débordements affectifs et pathologiques du réalisateur depuis Hook (1991). Il n’en demeure pas moins que pour une fois, la leçon de Spielberg, sur le libre arbitre en particulier, est digeste, et que l’amour de l’enfant sert utilement à l’intrigue. Celle-ci se révèle être un agréable thriller et, même si quelques évolutions s’avèrent aussi prévisibles qu’un meurtre en 2054, le rebondissement est somme toute bien amené, bien que le dénouement de la confrontation finale contredise la logique du système et de son géniteur. On peut également relever un certain nombre de situations bancales (la relation entre Anderton et le médecin qui lui greffe de nouveaux yeux) ou non exploitées (le culte dont les précogs sont l’objet).
Bénéficiant donc d’un scénario soigné, l’action de Minority Report peut évoluer dans un décor qui ne l’est pas moins, et l’on sait que le réalisateur de Jurassic Park est particulièrement méticuleux sur ce sujet. La société ainsi décrite présente la double facette classique des films de S.F., alternant la propreté quasi-maladive d’un futur aux formes arrondies et prospères où la technologie s’est mise au service de la communication (vision terriblement réaliste d’une publicité personnalisée), de l’ordre (forces de police équipées en partie d’armes neutralisantes aussi sympathiques que le bâton à vomir) et du plaisir (centre de simulation virtuelle où le citadin peut assouvir sans honte ses fantasmes), avec les coulisses moins reluisantes d’une société où les inégalités persistent, où le problème de la drogue n’a pas été éradiqué, et où l’obsession sécuritaire a atteint un summum (la vision de la prison dans laquelle les détenus sont carrément maintenus inconscients, hors du réel, est tout simplement effrayante). La lumière, plutôt vive, et les couleurs, fades et uniformisées, sont également mises au service de cette vision de l’avenir, tout comme dans Bienvenue à Gattaca. On se plait même à déceler quelques allusions au grand Kubrick, en particulier avec le constraste entre la musique classique et la gravité sécuritaire (lorsque Tom Cruise joue les chef d’orchestre informatiques, ou par le biais d’un gardien de prison mélomane...).
Remarquons au passage le retour de Spielberg vers un humour moins propre et quelques scènes peu ragoûtantes qui dépassent de très loin tout ce que le réalisateur a pu accomplir jusqu’alors, dans Indiana Jones et le temple maudit par exemple. Il y a donc un peu d’Il faut sauver le soldat Ryan mâtiné d’humour dans ce Minority Report, même si le chef d’œuvre de Blade Runner n’est pas renouvelé. Spielberg accomplit dans le même temps un retour vers le film d’action plus proche de la trilogie des Indiana Jones. Souhaitons que la tendance se confirme par la suite, en particulier avec le quatrième volet annoncé de la célèbre saga.