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LA GUERRE DES MONDES
jeudi 8 février 2001, par
Byron HASKIN (1899-1984)
Etats-Unis, 1953, The War of the Worlds
Gene Barry, Ann Robinson, Les Treymane, Bob Cornthwaite, Sandro Giglio.
Après l’adaptation radiophonique aux conséquences spectaculaires, par Orson Welles, du roman de H.G. Wells à la fin des années 30, Hollywood se décida, en pleine période de guerre froide, à réaliser l’adaptation cinématographique d’un des romans fondateurs de la science-fiction contemporaine. Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le parallèle entre les Martiens et les Soviétiques est loin, très loin d’être évident. Isolé de son contexte, le film apparaît nettement comme une adaptation libre du roman de Wells plutôt que comme un élément de la croisade anticommuniste de l’époque. Il n’y a d’ailleurs pas la moindre allusion à l’URSS dans le film.
Les amateurs du roman de 1898 risquent néanmoins d’être surpris, car la production a choisi d’actualiser le thème de l’invasion martienne. Si les envahisseurs arrivent toujours à bord de cylindres évocateurs du Jules Verne De la Terre à la Lune, et si une de leurs armes destructrices reste le fameux " rayon ardent ", précurseur du laser (mais qui, dans le film, ressemble plus à un lance-flammes survitaminé), ils emploient désormais des champs de force pour résister aux progrès de l’armement humain réalisés suite aux deux guerres mondiales (la " guerre des mondes " est d’ailleurs présentée en prologue du générique comme une sorte de succédané de la troisième guerre mondiale).
De plus, disparus les mythiques tripodes ! C’est désormais à l’aide de soucoupes volantes, au design original et plutôt réussi, que les Martiens partent à la conquête du monde, un changement dicté par la mode initiée à partir de 1947 et de la première vision de prétendus ovnis par l’américain Kenneth Arnold. Pourtant, un hommage subtil est bien rendu aux créations de Wells : lors de la première apparition des soucoupes, on se rend compte par une transparence voulue que pour voler au dessus du sol, elles reposent en fait par sustentation sur trois appuis magnétiques invisibles. En outre, le chiffre trois garde toute son importance, puisque l’optique réelle ou artificielle des Martiens y trouve son sens, et leur stratégie d’attaque -plus développée que chez Wells- en découle également.
La trame narrative, relativement simple, reprend plusieurs des éléments de l’histoire initiale, en la déplaçant bien sûr de la campagne britannique aux environs de Los Angeles, se permettant plusieurs allusions à la situation d’autres pays, afin de bien montrer le caractère mondial de l’invasion. Une narration préalable, fidèle à l’esprit du roman (mais n’explicitant pas vraiment les raisons de l’invasion), l’arrivée du premier cylindre, les réactions de la population locale, la sortie des Martiens, l’intervention finalement vaine de l’armée, puis l’offensive massive des Martiens, sont autant de points largement inspirés du roman. Le film se termine dans une vision de fin du monde, la destruction non pas de Londres mais de Los Angeles, qui évoque les futurs classiques du film catastrophe. On retrouve même le passage plus intimiste dans lequel le narrateur du roman se retrouvait coincé dans une ancienne ferme, presque face à face avec les extra-terrestres. Toutefois, et c’est là dommage, les aspects presque " gore " du livre sont ici complètement gommés ; " l’humanité " des Martiens, si je puis me permettre ce terme, nous est au moins révélé à cette occasion. " Ils sont peut-être aussi curieux de nous que nous le sommes d’eux ", comme le dit fort judicieusement le héros. Leur apparence physique, malheureusement, cède à la facilité de la ressemblance humanoïde, à la limite de la caricature extra-terrestre (le plan qui filme seulement l’ombre est bien plus judicieux), au détriment des poulpes de Wells. Nul doute, en tout cas, qu’un certain Spielberg saura s’en inspirer pour son E.T.
Justement, concernant les héros, on déplorera un certain manque de charisme de la part des différents personnages, dont le jeu n’est pas inoubliable. Au lieu d’un seul narrateur dans le roman, on a droit à un couple très hollywoodien, le jeune et brillant scientifique accompagné d’une étudiante en sciences admirative. Inutile de dire qu’une relation amoureuse toute platonique (aucun baiser, même final, au programme !) va progressivement se tisser entre eux. Si la hiérarchie sexuelle de l’époque est respectée (nombreux sont les cris que la jeune Sylvia poussera face aux périls qu’ils auront à affronter !), elle évite finalement la caricature. Ainsi, lorsque tous deux se retrouvent dans la ferme, l’homme participe également à la préparation du repas, sans doute parce qu’il est -à ce moment-là- encore célibataire...
De manière plus générale, le regard porté sur la société de l’époque n’est pas dénué d’esprit critique : l’armée apparaît plutôt bête et gratuitement violente, et son contraire s’incarne dans le personnage du pasteur, l’idéaliste qui pense qu’étant supérieur à nous, les Martiens sont ainsi plus proches de Dieu ! Tim Burton donnera une version grossie et laïcisée de ce type humain avec Pierce Brosnan dans Mars Attacks ! Enfin, les médias, à l’affut du scoop, sont également égratignés, et l’envoyé spécial présent autour du premier site d’aterrissage est particulièrement ridicule. Mais ces thématiques restent secondaires, l’essentiel étant d’offrir un film spectaculaire plutôt qu’une critique sociale ou politique, contrairement au contemporain Le jour où la Terre s’arrêta.
Bien sûr, certains aspects du film ont indéniablement vieilli, en particulier les effets spéciaux, à base de maquettes ou de transparences. Mais n’oublions pas que pour l’époque, ils étaient remarquables ! De même, certaines données astronomiques ont aujourd’hui considérablement évolué, et la description des planètes du système solaire au début du film nous fait plutôt sourire (mais pourquoi cet oubli de Vénus ?). Les matte paintings qui illustrent ce passage manquent d’ailleurs de crédibilité, exception de celui, très réussi, de la surface fantasmée de Mars. D’autre part, l’énergie atomique étant le plus haut palier technologique alors atteint, il semblait logique de penser que les Martiens l’utilisaient aussi, une limite de l’anticipation que l’on retrouve également à travers d’autres supports de l’époque, comme la BD Jeff Hawke.
Reste toutefois un aspect plus dérangeant, propre à la mentalité américaine, la place de Dieu, qui, dans le roman du socialiste Wells, était beaucoup moins importante et nettement plus ambiguë, avec le personnage du vicaire fou. En effet, la fin du film voit s’opérer une liaison plus que douteuse entre la mort des envahisseurs et les messes qui sont données dans les différentes églises que visite le héros. Ce dernier lui-même parle d’un " miracle ", sorte de mélange entre le châtiment divin représenté par les multiples destructions et la miséricorde de Dieu, qui permet la mort des Martiens. Le microbe est ainsi appelé " la plus petite chose que Dieu, dans sa sagesse, avait mise sur Terre ! ". Voilà qui atténue considérablement le seul aspect biologique et matérialiste du dénouement de Wells !
La conclusion du film nous offre néanmoins deux plans marquants, frappants : celui de la main du Martien agonisant qui rampe sur la plate-forme d’accès de sa soucoupe, et celui qui nous montre trop brièvement les Terriens vus par les yeux du même Martien, un angle d’approche malheureusement sous-exploité. La Guerre des Mondes est donc un film surtout axé sur le spectacle, qui ne reflète qu’une partie de la richesse du roman d’H.G. Wells, et privilégie le premier degré, la catastrophe qui frappe l’humanité, ses multiples conséquences n’étant finalement qu’effleurées. Mais l’on sait la difficulté d’adapter un livre sur grand écran sans dénaturer en tout ou partie son contenu. L’essai est en tout cas plus réussi que pour La Machine à explorer le temps, quelques années plus tard...