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DANS LA NUIT DES TEMPS
mars 2001, par
TSUI Hark (1951-)
Hong Kong, 1995
Charlie Young, Nicki Wu, Eric Kwok, Cheung Ting, Ho Ka Kui.
Vous l’avez probablement remarqué si vous lisez régulièrement mes critiques de films de Hong Kong, l’excellent réalisateur-producteur Tsui Hark aime le fantastique. Et régulièrement il revient à la charge en nous livrant un film de genre quel que soit le résultat commercial précédent. Dans le cas de Dans la nuit des temps la situation est un peu particulière. En effet après une période florissante, la Workshop (société de prod de Tsui) commençait à entamer une descente aux enfers commerciale. Tsui Hark, cherchant à renouer avec le box office, décide de réutiliser le casting de son dernier succès le superbe The Lovers (un des plus beaux films de HK et du cinéma tout court...). Pour Dans la nuit des temps il conserve l’aspect mi-comédie mi-love story de son chef d’œuvre en y injectant une sérieuse dose de fantastique. Mais jugez plutôt.
Hung Yan Yan [1]est une jeune fille faisant partie d’une troupe d’opéra. A la recherche de l’amour elle participe à la " fête des affinités ", le jour idéal pour rencontrer l’âme sœur. Elle n’arrête pas d’y croiser Kong, un employé de banque, qu’elle ne peut pas supporter. Les deux ne vont cesser de se jouer des mauvais tours durant la fête avant de finalement apprendre qu’aucun des deux ne trouvera l’âme sœur. Mais démentant la prophétie ainsi faite, Kong rencontre le soir même une jolie jeune fille qui l’emmène chez elle. Yan Yan s’absente finalement une semaine avec la troupe avant de revenir en ville. Là elle apprend la mort de Kong. Qu’elle n’est pas alors sa surprise de le rencontrer dans l’opéra ! Il lui explique qu’il a été piégé et survit dorénavant en utilisant le courant électrique. Il demande l’aide de Yan Yan pour remonter le temps et empêcher son assassinat. Celle ci accepte mais la tâche est bien plus compliquée qu’elle n’en a l’air, d’autant plus que les deux vont se trouver plus d’affinités qu’ils n’auraient pu l’imaginer...
En fait Dans la nuit des temps a tout d’un best of du cinéma de Tsui Hark période Workshop. C’est bien simple on y retrouve des morceaux de tous ces grands succès. The Lovers évidemment comme précisé dans mon intro mais aussi du Peking Opéra Blues dans la description de la troupe d’opéra et l’esthétique générale, du Histoires de fantomes chinois dans ce fantastique débridé et inventif ou encore du Festin chinois au vu de l’humour pratiqué. Il ne manque guère que des bouts de Il était une fois en Chine pour que la liste soit complète ! Le film a donc tout d’un chant du cygne de cette époque bénie, impression renforcée quand on sait que le film qui suivra est le magnifique The Blade ou Tsui fait table rase de tout ce qu’il avait construit antérieurement.
Ce mélange des genres, typique des films Hong Kongais, prend sous cet angle une nouvelle dimension. Mais paradoxalement, ce qui ressort de la vision de Dans la nuit des temps c’est qu’il était peut être effectivement temps pour Tsui de passer à autre chose. Le film est certes plaisant mais on sent qu’il vit sur d’autres bases (établies par les œuvres précédemment citées). La formule Workshop avait donné le meilleur d’elle-même mais elle était fatiguée, Hark la réactive donc pour la dernière fois avant de passer à autre chose.
Les divers genres abordés dans le film sont tous traités avec efficacité mais aucun ne peut rivaliser avec le génie des œuvres fondatrices. La love story par exemple est attachante, surtout grâce au jeu de la géniale Charlie Young, mais elle n’atteint pas la puissance évocatrice de The Lovers. C’est aussi le cas de la description de la troupe d’opéra, moins passionnante que dans Peking Opéra Blues. Entendons-nous bien toutefois, les films que je cite en tant qu’œuvre de références sont de pur chef d’œuvre, il est donc logique qu’à leurs cotés Dans la nuit des temps paraisse un peu pâle.
Pour autant, le film est en lui-même un spectacle tout à fait plaisant et attendrissant. L’inventivité a toujours été une marque de fabrique de la Workshop(et dans une moindre mesure de tout le cinéma de HK) elle est bien présente ici. La preuve avec le coté comique du film très bien mis en valeur. Tsui ne recule devant aucune forme d’humour, de la plus délirante à la plus trash. Le gag du vomi par exemple(que je préfère ne pas vous décrire) risque d’en choquer plus d’un. Il exploite aussi très bien le coté fantastique du film pour créer des situations propices à la comédie tel la séquence ou Yan et Kong se retrouvent " fusionnés " et poursuivis par divers membres de la troupe d’opéra. Tout cela est franchement drôle, pas de raison de bouder son plaisir !
Le coté fantastique bénéficie lui aussi de ce foisonnement d’idées. Car si le concept de départ est probablement inspiré des Retour vers le futur, le traitement fait toute la différence. L’image, par exemple, de ce monde intermédiaire ou les âmes en transit peuvent se faire aspirer si elles se rapprochent trop près de bornes électriques et ou les malheureux sont obligés de se déplacer au ralenti sous peine de voir leurs membres se séparer de leurs corps est particulièrement marquante. Ce fantastique est d’autant plus satisfaisant que les effets spéciaux sont souvent réussis et que la mise en scène pleine d’énergie les sublime régulièrement.
Dans la nuit des temps est donc un film doublement intéressant. De manière isolée car c’est une bonne comédie romantique dotée d’éléments fantastiques bien intégré. Et pris dans l’ensemble de la carrière de Tsui Hark car il marque la fin d’une époque dans la carrière d’un des meilleurs réalisateur de l’ex colonie, et un des plus attaché au genre que nous affectionnons tant : le fantastique. Allez, faites-moi plaisir, regardez le et si vous n’avez pas vu les autres films que j’ai cités dans cette critique continuez sur votre lancée !
[1] A titre d’anecdote Hung Yan Yan est le nom d’un très bon cascadeur/acteur découvert par Hark et à qui il va offrir de superbes rôles dans des films tel que Il était une fois en Chine III, Le festin chinois et l’indispensable The Blade.