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ORANGE MECANIQUE
mars 2001, par
Stanley KUBRICK (1928-1999)
Etats-Unis, 1971, Clockwork Orange
Malcolm Mac Dowell, Patrick Magee, Michael Bates, Warren Clarke, John Clive
Nous voilà à la fin de notre exploration des incursions fantastico-science fictionnelles du meilleur réalisateur au monde. Et quoi de mieux que de terminer sur une des oeuvres les plus connus et les plus controversé du maître. Orange Mécanique fut en effet à sa sortie l’objet de nombreuses polémiques. Carrément interdit en Angleterre, critiqué pour sa violence un peu partout dans le monde, le film suscite encore beaucoup de réactions aujourd’hui comme l’a prouvé la décision du CSA qui a empêché sa diffusion en prime time. Quel apôtre du bon goût ce CSA mais bon c’est un autre débat. Orange Mécanique s’inscrit en deuxième place dans la trilogie de chef d’oeuvre que le réalisateur enchaîna entre 1968 et 1975 entouré de 2001 et du superbe Barry Lyndon. Comme d’habitude Kubrick choisit d’adapter un livre qu’il va retravailler pour le faire mieux s’accorder à ses obsessions. Il porte son dévolu sur l’oeuvre de Burgess décrivant un futur proche, un choix certainement en réaction par rapport à son précèdent opus plus lointain.
Dans un futur proche, Alex et sa bande trompent leur ennui en agressant, violant et saccageant ce qui leur tombent sous la main. Mais une de ces soirées d’ultra-violence tourne mal puisqu’il se fait arrêter par la police. Pour sortir de prison plus vite, il accepte de participer à un programme expérimental, nommé programme Ludovico, destiné à gommer toute pulsion violente chez le délinquant. Alex est en effet persuadé qu’il pourra faire croire à sa "guérison" et reprendre ses activités à sa sortie. Mais il va vite déchanter car l’expérience semble beaucoup plus efficace que ce qu’il pensait.
J’ai beau être un fan inconditionnel de Kubrick, force est de reconnaître que Orange Mécanique a un peu vieilli. Non pas au niveau de ses thèmes, qui sont encore et certainement pour longtemps d’actualité. C’est plutôt au niveau de la forme que le bat blesse. Le film baigne dans une esthétique seventies/porno qui trahit plus l’époque à laquelle il a été tourné que ne fait croire à un monde futur crédible. Un parti pris visuel surprenant de la part d’un homme aussi visionnaire et qui oblige le spectateur à un petit effort de volonté pour en faire abstraction. Autre élément daté les scènes d’ultra-violence. Si la gratuité des actes et la cruauté de certains comportements (la mythique bastonnade sur fond de singin’in the rain) fait toujours froid dans le dos, on ne peut pas en dire autant du rendu visuel. Les comédiens crient et font semblant d’avoir mal, et le font plutôt bien, mais c’est un peu léger pour nous convaincre. Surtout quand entre temps on a pu voir des représentations de la violence bien plus impressionnantes et couillues. L’ultra-violence d’Orange Mécanique est donc un peu light pour complètement nous convaincre. La réalisation de Kubrick semble aussi pâtir des modes de l’époque. Il s’amuse à utiliser une image accélérée pour la scène de partouze avec deux lolitas par exemple. Une pratique qu’il ne reproduira plus dans aucun de ses films. Ne manque qu’un bon vieux split screen pour dater encore plus le film. Tout cela fait donc un peu vieillot.
Ceci étant, le reste de la réalisation est elle absolument impeccable. Posée, réfléchie, privilégiant les plans longs et les élégants mouvements de caméra mais n’hésitant pas aussi à recourir à la caméra à l’épaule pour des scènes mouvementées (telle la "danse" avec la dame aux chats). Le splendide plan de début de métrage est emblématique de ce style et en l’occurrence de tout l’esprit du film (il s’ouvre en effet sur le regard intense d’Alex, personnage charismatique et dominant qui imposera sa personnalité jusqu’à la fin). Kubrick fait aussi preuve de son goût sur en matière musicale. La façon dont il intègre la neuvième symphonie de Beethoven à l’histoire d’Alex (symbole de sa dépravation/conditionnement) est exemplaire.
Et la façon dont les autres morceaux classiques soutiennent l’action est elle aussi notable. Musique et réalisation : Deux éléments que le réalisateur a toujours maîtrisé parfaitement du début à la fin de sa carrière ! Mais le principal intérêt d’Orange Mécanique c’est bien sur dans les idées qu’il développe qu’on le trouve. Et ces idées tournent autour de quoi ?(ceux qui ont déjà lu mes critiques de films de Kubrick n’ont pas le droit de répondre !) La nature humaine évidemment ! Ici placé dans un contexte politico-instutitionnel très marqué. Mr K. va poursuivre les analyses qu’il avait entamé dans 2001, c’est à dire définir ce qui caractérise la nature humaine. La réponse qu’il donnait en filigrane dans son oeuvre précédente apparaît de manière éclatante dans Orange. Ce qui caractérise la nature humaine c’est la violence. Cette violence peut s’exprimer de manière très différente. Pour Alex elle est gratuite, anarchique dans un sens. Mais elle peut aussi être institutionnel. Dans le film plusieurs exemples nous sont montrés, il s’agit des policiers (le brutal interrogatoire, le rigide gardien chef), des religieux (le prêtre de la prison, la vision "réaliste" de la bible), des scientifiques (prêts à torturer pour prouver l’efficacité de leurs programmes) ou encore des politiques (imposant leurs idées). Tous les âges sont représentés, la violence gratuite et fortement sexuée des jeunes se transformant en une violence institutionnelle pour les plus âgés au fur et à mesure de leur implication dans la société des hommes (comme le prouve la reconversion en policiers des deux acolytes d’Alex). Or le programme Ludovico va éradiquer les pulsions violentes et sexuelles d’Alex. Celui ci ne sera plus qu’un légume, sans volonté. En perdant ces deux pulsions il perd ce qui caractérise l’Homme, il devient un mouton. Mais on ne peut aller contre sa nature, particulièrement pour cette icône vivante qu’est Alex. Un véritable concentré de vie et d’Humanité. Très logiquement le programme ne marche sur lui que de façon temporaire, sa violence intrinsèque se trouve même récompensé à la fin. Quelqu’un aussi débordant d’Humanité que lui ne pouvait qu’être acclamer dans la société des Hommes.
Aussi, une conclusion s’impose : Dans cette société à notre image, la violence ne peut être effacée. Il nous faut vivre avec des gens comme Alex si on veut continuer à disposer d’un libre choix. L’Humain, et les qualités qui lui sont associés, ne peuvent demeurer que dans une société ou existe cette violence. Avec un tel message on comprend que le film ait pu choquer les tenants de l’ordre moral ou bien les idéalistes pur jus. Mais c’est justement pour ça que sa vision est impérative !
D’autres clés de lecture, additionnelles à la principale ci dessus dégagé, sont aussi possibles. On peut ainsi déchiffrer le manque de foi de Kubrick envers les institutions. Elles ne pensent qu’à créer un citoyen faible, auquel on peut imposer ses opinions (les parents d’Alex en sont très représentatifs). Inutile de dire que le point de vue d’Alex ne semble pas beaucoup plus constructif. Bref que ce soit anarchisme (Alex) ou ordre moral (les institutions), il les renvoie dos à dos, sans pour autant apporter de réponses particulières. Kubrick est un observateur, il ne juge pas mais constate. Autre approche, celle purement cinématographique. Ne peut on pas voir dans le personnage d’Alex soumis au traitement Ludovico la recherche par Hollywood d’un spectateur décérébré ? Les scientifiques se transformeraient en des producteurs avides à la recherche de l’effet maximum par l’alliance idéale entre image (ultra violente) et son (ici la 9e de Beethov). Les remarques que fait Alex sur la représentation de la vie sur grand écran semblent corroborer cette idée. Mais nul doute que la richesse du film permet encore beaucoup d’autres interprétations.
Ainsi s’achève notre voyage dans l’univers de ce génie du 20e siècle qu’était Stanley Kubrick. Est il besoin de préciser que la vision de 2001, Orange Mécanique et Shining s’imposent à vous nobles fans de SF/fantastique ? Et puis ne vous arrêtez pas en si bon chemin ! Apres avoir été soufflé par la puissance de ses trois films, enchaînez avec toutes ses autres oeuvres(et surtout Barry Lyndon !). Vous entamerez ainsi un voyage dont on ne ressort pas indemne mais certainement un peu meilleur...