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AELITA

dimanche 30 janvier 2005, par Maestro

Réalisateur : Yakov PROTAZANOV (1881-1945)

Année : U.R.S.S., 1924

Acteurs : Yuliya Solntseva, Igor Ilyinsky, Nikolai Tsereteli, Nikolai Batalov, Vera Orlova, Valentina Kuindzhi, Pavel Pol

Aelita est un jalon important dans l’histoire des films de science-fiction, après les tentatives pionnières d’un Méliès et avant les anticipations percutantes du Metropolis de Fritz Lang. Il contient d’ailleurs des éléments mêlant à la fois le merveilleux et la dimension scientifique. Pour le premier, des costumes martiens quelque peu extravagants et une prégnance de l’onirisme à travers les rêves de l’ingénieur Loss, qui le mettent en contact avec la réalité de Mars ; on pense ici plus à Edgar Rice Burroughs et à son John Carter qu’à Jules Verne. Quant au propos scientifique, il apparaît à travers l’architecture martienne, rapidement entrevue, et surtout les travaux du même Loss, désireux d’élaborer un engin spatial capable de se rendre sur la planète rouge de laquelle de mystérieux signaux télégraphiques ont été reçus, même si la source d’énergie nous reste inconnue, et que le voyage proprement dit est très rapidement évacué...

Conçu comme un film à gros budget, tourné par le réalisateur russe le plus connu de l’époque, susceptible donc de montrer la force du nouveau régime russe, Aelita commence en URSS, au début des années 20, période de reconstruction du pays, ruiné par la guerre mondiale et la guerre civile. Les deux personnages principaux du film sont un ingénieur, Loss, et sa jeune épouse, Natasha. On suit également en parallèle les itinéraires d’un soldat de l’Armée rouge en convalescence et d’une infirmière qui succombe à son charme. Tous ces individus nous sont montrés dans leur quotidien, et se caractérisent bien évidemment, souci d’exemplarité oblige, par une grande honnêteté (les tentatives de corruption à leur égard font systématiquement chou blanc) et un dévouement qui ne l’est pas moins, de Natasha, devenue directrice d’une maison d’enfants, à travers lesquels on devine le sort des orphelins soviétiques, jusqu’à Loss, qui s’investit dans son travail pour oublier ses peines de cœur. L’amour est en effet le fil directeur du film, Natasha étant courtisée par un ancien bourgeois, archétype du contre-révolutionnaire qui regrette le passé (avec quelques flash-back de la situation terriblement inégale de l’Ancien régime à l’appui) et se soucie seulement de tirer profit des faiblesses de la nouvelle Russie (les fêtes clandestines en sont un excellent exemple). Toute la première partie du film traîne d’ailleurs quelque peu en longueur en se concentrant sur ce progrès du doute dans l’esprit de Loss qui le conduit à s’éloigner de plus en plus de sa femme, jusqu’à commettre l’irréparable...

Suit alors la partie la plus science-fictive, qui n’était présente jusque là que par les rêves de la planète Mars. L’expédition spatiale est finalement montée, et y participent, outre Loss, le militaire en mal d’action et le policier lancé à sa recherche, qui constituera d’ailleurs l’élément comique, d’autant qu’il tentera de demander l’aide des forces de l’ordre martiennes. La population martienne est en effet séparée en deux classes distinctes, celle des Aînés, qui domine sans travailler, et celle des ouvriers, confinés dans le sous-sol de la planète (on pense bien sûr à la métaphore de Wells dans La machine à explorer le temps). Aelita, la reine de Mars privée de son pouvoir par les hommes de sa classe, voit dans Loss non seulement un amour exotique, mais également un moyen de prendre le pas sur la domination exclusivement masculine. Elle fomente donc une révolution avec les Terriens, destinée à fonder l’Union des républiques socialistes de Mars, mais se retourne, une fois les Aînés tués, contre les insurgés entraînant la colère de Loss qui réédite son geste terrible... On a là comme une mise en image psychanalytique de l’acceptation par Loss de son crime à travers ses rêves, ce qui le conduit finalement à retrouver son aimée... Une fin heureuse, sans grande originalité, en dehors de l’explication des mystérieux messages télégraphiques du début du film, véritable dénonciation avant l’heure du totalitarisme de la publicité. Le message politique, quand à lui, n’est pas sans lien avec l’évolution idéologique du Parti au pouvoir : Loss détruit en effet les plans de son engin spatial, une manière de dire que le plus important est bien sur Terre, dans l’édification de la patrie socialiste, et pas dans la diffusion de la révolution à travers l’univers... Staline plutôt que Trotsky, en somme ?

Pour terminer, précisons que lors de sa dernière diffusion à Paris en janvier 2004 puis sur le cable, Aelita, film muet, a vu sa partition originale remplacée par une bande sonore contemporaine, œuvre de Sporto Kantès : celui-ci y mélange musique électronique à la Kraftwerk, mais aussi reggae, rock progressif (King Crimson) et diverses autres influences pour un résultat surprenant mais qui s’avère assez plaisant. Ce pont construit entre le passé et le présent est en tous les cas une démarche à encourager !

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