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La machine à explorer le temps

mardi 26 mars 2002, par Maestro

Herbert George WELLS (1866-1946)

Grande-Bretagne, 1895, The Time Machine

Mercure de France, 1959

Attention, chef d’œuvre incontestable ! Pour son premier roman, H.G. Wells a frappé très fort, hissant la science-fiction à un niveau supérieur de l’évolution, et inaugurant une longue série de livres ou de films (à commencer par les deux adaptations du livre, celles de George Pal et de Simon Wells, et le clin d’œil de Nicholas Meyer) ayant pour thème le voyage temporel. L’histoire est simple, servie par un style pédagogique dénué de fioritures superflues, qui parvient à maintenir en permanence l’intérêt du lecteur, ménageant ses effets et graduant le suspens sur les révélations définitives. A Londres, dans la demeure d’un savant aisé, en cette fin de XIXème siècle, un groupe d’amis écoute le récit incroyable du premier explorateur du temps. Après un prélude sur les bases " scientifiques " du voyage temporel, on entre dans le vif du sujet avec les huit jours que ce voyageur (anonyme, tout comme ses convives, dont l’un est Wells lui-même, procédé narratif toujours efficace) a passé dans notre lointain avenir, en 802 701.

Le tableau brossé de ce futur est connu. Ce qui est plus intéressant, c’est de s’interroger sur sa signification. Au-delà de l’opposition entre la lumière et l’obscurité, une dichotomie que nous éprouvons tous, il est remarquable de constater que le paradis apparent qu’est le monde des Eloïs est en réalité un enfer bien plus redoutable que les souterrains des Morlocks : une inversion totale de la vision chrétienne, en somme ! Mais en bon matérialiste, Wells tente surtout de nous alerter sur l’évolution possible de la société industrielle alors en plein essor, au moment de la rédaction de l’ouvrage. Il est clair que les Eloïs sont les descendants dégénérés de la bourgeoisie, une bourgeoisie autrefois conquérante, et qui s’est progressivement vidée de son dynamisme, pourrie par son excès de richesses, tandis que les Morlocks sont les avatars des prolétaires exploités et vivant dans des conditions défavorables, comme cela pouvait être le cas au XIXème siècle, et comme cela semble de nouveau se développer en ce début de XXIème... Le film de Fritz Lang, Metropolis, réutilisera cette opposition entre les dominants habitant à la surface, et les dominés en sous-sol. Sauf que la lutte de classes s’est finalement retournée à l’avantage des prolétaires, qui se servent des Eloïs comme bétail... Victoire bien amère, car retombés au rang d’anthropophages, ils continuent d’entretenir les machines souterraines nécessaires à la survie de leurs anciens maîtres, comme un signe d’intériorisation terminale de leur aliénation, sans parler de leur évolution physique monstrueuse... Au contraire, du sommet auquel étaient parvenus les ancêtres des Eloïs, il reste quelques bâtiments artistiquement conçus, et surtout un souci écologique particulièrement d’actualité, puisque l’industrie a été reléguée dans le sous-sol, permettant à la surface de redevenir un immense jardin...

En nous faisant partager cette vision allégorique, Wells veut non seulement nous inciter à voir ce qui se cache derrière l’apparence de la réalité, mais surtout nous mettre en garde : si l’humanité ne s’engage pas dans une autre direction, plus soucieuse de l’unité de l’espèce et de la fraternité humaniste (comprenez le socialisme), l’avenir sera tragique, et conduira à un déclin inévitable. Il s’agit là d’un véritable éloge du changement et de l’évolution, contre les dangers de la stagnation, un message toujours d’actualité... La priorité donnée à cette parabole conduit Wells à se contennter du minimum en ce qui concerne la description du monde de l’avenir (même si ce minimum reste captivant, ainsi du palais de porcelaine verte, par exemple), et à ne pas développer la relation entre l’explorateur et Weena, la jeune Eloï ; dans ce dernier cas, il faut également invoquer la mentalité victorienne de l’auteur, et souligner qu’il s’agit inévitablement d’une histoire sans avenir (sic !), Weena étant en grande partie l’incarnation de la " bonne sauvage ", ne pouvant en aucune manière se situer sur le même plan intellectuel que le visiteur du passé.

Ce roman n’est pas seulement un témoignage des idées politiques de son auteur, c’est également, sans doute, un moyen pour Wells d’exorciser son pessimisme sur l’évolution de la société, un pessimisme qui surpassera peu à peu son optimisme, au fil du déroulement du premier XXème siècle. Et ne peut-on voir, à travers certaines descriptions, et surtout avec la vision de cette agonie de la Terre elle-même, au bord d’un océan dans le coma, une approche émotionnelle presque poétique ? Parmi les livres directement influencés par ce roman fondateur, largement aussi important que La guerre des mondes, on retiendra -et conseillera !- tout particulièrement les hommages de Christopher Priest (La machine à explorer l’espace) et surtout de Stephen Baxter (Les vaisseaux du temps), magnifique poursuite réactualisée du périple de l’explorateur... Un roman définitivement intemporel et incontournable.

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