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La perle à la fin des temps
Barocco !
mercredi 24 mars 2004, par
Luca MASALI (1963-)
Italie, 1999, La perla alla fine del mondo
Payot SF, 1999, 395 p.
Il faut de l’audace à l’Italien Luca Masali pour écrire un roman pétri d’Islam à une époque où les Occidentaux perçoivent cette religion d’abord par le terrorisme et ce même s’il écrit en 1999. Publié simultanément dans les langues de Dante et de Voltaire, les lecteurs, qui n’auraient pas déjà pu apprécier Les biplans de D’Annunzio (1997), pourront constater que Luca Masali ne doit rien à Valerio Evangelisti et qu’on y trouve comme un Eco.
Le roman de Masali est un en effet un savant mélange des genres. Il y a du cyberpunk dans ce roman : comment qualifier autrement le monde dans lequel évolue la jeune Manat, un monde post-apocalyptique où l’Europe et l’Amérique, victimes de leur technologie nucléaire, sont ravalées au rang de territoire irradié pour l’un, de mythe pour l’autre, laissant la possibilité à un nouvel empire ottoman d’instaurer sa dictature en faisant appliquer à la lettre la charia par des machines terrifiantes. L’Islam est cependant pluriel et le sultan rencontre l’opposition des fanatiques chiites, comme celle des cyberderviches empreints de la tolérance du soufisme. Trois écoles musulmanes pour lesquelles Manat est un enjeu essentiel.
A des siècles dans un passé uchronique, Matteo Campini perd son job de barman du casino de Monte-Carlo pour se retrouver embarqué dans une expédition destinée à palier le désastre de la Croisière noire. S’il n’y avait eu la sémillante Corinne Dufour (un hommage à l’actrice Corinne Cléry et au film Moonraker ou une coïncidence amusante ?) et le sens de la persuasion très fiduciaire d’André Citroën, sans doute n’en serait-il pas à se battre contre une troupe de légionnaires fanatiques. Le Sahara n’a plus rien d’un désert et quant il ne croise pas les Touaregs, c’est pour rencontrer un mystérieux Taqiya ou un gros professeur de civilisation arabe, dépourvu de son sorbonesque vernis et revêtu de crasse.
A la rencontre des deux trames se trouve une huître qui n’en finit plus de mourir, l’immortalité et le douzième iman tant attendu par les chiites.
Foisonnant de références culturelles - qui posent d’ailleurs le problème de leurs réalités comme de leurs exactitudes (il y a au moins une erreur relative à Messali Hadj !) -, La perle à la fin des temps constitue un appel à la réflexion quant à la nature de l’Islam mais le roman n’a rien d’un monument d’érudition. Ses personnages truculents, épicés, et parfois subtilement érotiques, portent avec une mastria toute italienne un récit haletant. L’influence des Chaînes d’Emmerich, deuxième volume de la saga de l’inquisiteur de Valerio Evangelisti, est plus prégnante mais Masali a bien mieux su utiliser l’idée des organismes microcellulaires mutants que son compatriote. Le fait est que c’est une perle de la plus belle eau que nous livre Masali, de celles qui ont de multiples reflets.