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Fahrenheit 451
Burn One Down
mercredi 1er août 2001, par
Ray BRADBURY (1920-2012)
Etats-Unis, 1953
Denoël, coll. Présence du futur
Il n’y a que très peu de livres au XXe siècle qui font, avec une grande intelligence, une projection sur un futur possible : 1984 (George Orwell), Le meilleur des mondes (Aldous Huxley) et Fahrenheit 451. On peut éventuellement y ajouter La guerre éternelle (Joe Haldeman) mais, déjà, on perd ce qui fait des trois premiers des livres inoubliables. La noirceur pour le premier, l’humour pour le second et la poésie pour le dernier. La guerre éternelle est politique et réaliste, en plus d’être bien écrit (contrairement aux insupportables Chants de la terre lointaine, d’Arthur C. Clarke). Il lui manque cependant le supplément d’âme des autres.
Fahrenheit 451, c’est l’histoire d’un réveil après un très long sommeil. On ne saura pas quand il a commencé. En effet, tout est vu à travers le regard de Guy Montag, celui qui sort de sa léthargie culturelle, ce qui réduit la description du monde où il vit à ce qu’il en sait ou en apprend. Pour ce faire, Ray Bradbury a choisi une narration linéaire, depuis le déclic produit par la courte apparition du merveilleux personnage de Clarisse, " 17 ans ", " folle " et surtout faussement ingénue, jusqu’à la fuite, en direct, de la ville monstrueuse. Et on en apprend bien assez sur la décadence molle qui a saisi cette partie de la planète.
Montag est pompier : il brûle les livres. Il le fait parce que c’est bon pour la société. Tout le monde, jusqu’à son chef, le lui répète. Mais Montag ne peut pas s’en empêcher : il emporte des livres. Peut-être même ira-t-il jusqu’à les lire ? Il deviendrait alors un individu, un paria. Un homme seul contre tous. Vraiment contre tous.
Au fil des pages, on voit se dessiner ce qu’est en train de devenir le monde, pour peu qu’on ait un regard un tantinet pessimiste : l’illusion a tout envahi, l’information a été totalement remplacée par le divertissement. On ne sait même pas de quelle nature est le régime politique. C’est, en tout cas, une dictature de la masse, dont le seul ordre est d’être laissée en paix, à l’écart des turpitudes de la vie et de la politique.
Certaines des vues de Bradbury ont trouvé leur application aujourd’hui : il imaginait des panneaux publicitaires d’une longueur démesurée, à cause de la vitesse des véhicules. Jetez un œil dans le métro : les panneaux publicitaires ne sont pas plus longs mais multipliés par trois ou quatre, de façon à pouvoir être lus sans que le passant s’arrête.
La télévision envahit les murs jusqu’à posséder une pièce entière. On y arrive, en ce moment. La famille disparaît et on connaît mieux les amours des personnages de téléfilms que le prénom de ses petits-enfants...
A tout cela, Montag veut échapper. On le suit dans ses doutes, dans ses maladresses, dans son humanité. Il va découvrir, comme il le pressentait, qu’il est important, au sens humaniste du terme. L’une des excellentes trouvailles de Fahrenheit 451, c’est le limier-robot, une sorte de compromis électronique entre le chien et l’araignée. C’est la matérialisation de la terreur qui comprime les esprits de la ville sans nom, où tout le monde ignore tout le monde, de crainte d’être pris en flagrant délit d’intelligence.
Ce livre très agréablement écrit peut se relire à n’importe quel moment de la vie : sa beauté formelle (et la simplicité qui va avec) reste époustouflante et sa clairvoyance fera toujours peur. Il peut nous aider à nous réveiller à tout âge. C’est ce qui en fait une œuvre qu’il ne faudra jamais brûler dans nos esprits.