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Les mondes francs
dimanche 21 mai 2000, par
Gérard KLEIN (1937-)
France, 1950-1970
LGF, coll. Livre de Poche, 1988
Le Livre de Poche s’était rendu célèbre par la vaste entreprise de la Grande Anthologie de la Science-Fiction, qui, en 36 volumes, essayait d’offrir un aperçu des différents thèmes abordés par le genre, sous sa forme nouvelle, mais limitée au monde anglo-saxon. Avec Les mondes francs, débute une anthologie de la nouvelle de SF française ; et cette fois, la division est chronologique, ce premier tome étant consacré aux années 50 et 60, avec une sélection de textes principalement issus de la revue Fiction. Pour découvrir les auteurs antérieurs, il faudra donc se reporter aux œuvres originales et à d’éventuelles rééditions d’auteurs (dont plusieurs ont déjà été chroniqués sur Wagoo !) comme J. H. Rosny Ainé, Jacques Spitz ou René Barjavel.
On pourrait s’essayer à classer les différentes nouvelles présentes selon la réputation de l’auteur (certains très connus, comme Pierre Boulle, d’autres absolument inconnus), mais nous nous efforcerons plutôt d’établir une typologie en fonction des thèmes abordés. D’abord, une des constantes de la plupart de ces récits, l’humour, sert parfois de fil directeur principal. C’est le cas pour « Charles Reboisé-Cloison accuse », de Gébé, « Journal d’une ménagère inversée » de Juliette Raabe, ou de « C’est du billard ! », de Philippe Curval. Cette dernière nouvelle n’est pas sans évoquer quelque peu Van Vogt, avec le jeu comme moyen de sélectionner le futur dirigeant suprême du monde... Un des meilleurs récits de ce type est sans doute « Premier empire », de Francis Carsac, qui n’est pas loin de rejoindre le principe du roman de John Atkins, Les mémoires du futur, avec des fouilles archéologiques qui concluent à l’existence d’un vaste empire galactique à notre époque, de par la lecture des romans de SF ; même si le postulat de départ d’imaginer une société future incapable de fiction ou de mensonge n’est que moyennement crédible, le récit et la conclusion sont très bien menés.
Si elles n’ignorent pas l’humour, bien au contraire, certaines nouvelles sont à mettre à part, du fait qu’elles apportent une contribution au thème du voyage dans le temps et de l’uchronie (que nous pourrions finalement définir comme une histoire parallèle, temporaire -si le cours de l’histoire telle que nous la connaissons est finalement rétabli- ou autonome). « Une nuit interminable », de Pierre Boulle, est un savoureux imbroglio de paradoxes temporels, de voyages dans tous les sens et de guerre temporelle... « Le suicide », de Claude Cheinisse, est l’occasion de décrire une uchronie basée sur la première guerre mondiale ; mais à cet égard, on peut douter de l’hypothèse selon laquelle le non-éclatement de la première guerre en 1914 aurait conduit à un conflit encore plus destructeur quelques années plus tard, étant donné que cette guerre a constitué un indéniable accélérateur pour les progrès des techniques militaires. Quant à « Le grandiose avenir », signé Jean Porte, on se demande tout simplement pourquoi personne n’avait songé au problème crucial, lié au voyage dans l’avenir, qu’elle évoque. Enfin, d’autres nouvelles révèlent une atmosphère plus mélancolique, et/ou une volonté de soigner tout particulièrement la forme. C’est le cas de « Point de lendemain », de Jean-Paul Török, cruelle nostalgie de l’ancien amour ; de « Si loin du monde... », de Jacques Sternberg, une terrifiante vision de notre société vue par un extra-terrestre ; de « Point de tangence », d’André Ruellan, intéressante évocation d’un délire schizophrène ; de « Nocturne pour démons » de Michel Demuth, beau texte sur la façon de dominer une société ; de « Au pilote aveugle... » du couple Henneberg, ou le mythe des sirènes revisité ; de « Ceux d’Argos », une tragique histoire d’amour ; de « La planète aux sept masques », de Gérard Klein, métaphore des masques que nous portons tous au cours de notre vie ; de « Comme un oiseau blessé », de Gilbert Michel, avec sa terrible ouverture finale ; ou de « La rose des énervents », de Daniel Drode, variation là aussi sur le voyage temporel, mais qui s’efforce d’imaginer une certaine évolution du langage (une semi-réussite).
Précisons pour terminer que plusieurs de ces récits ont en filigrane la peur de l’apocalypse nucléaire, reflet de l’époque couverte. Une nouvelle comme « Les bulles », de Julia Verlanger, en est une poignante illustration. Un recueil de grande qualité, donc, à conseiller à tout amateur de SF pour commencer à découvrir la production française de l’après-guerre sans avoir besoin de partir à la chasse aux revues épuisées...