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Minority Report et autres récits

vendredi 25 octobre 2002, par von Bek

Philip Kindred DICK (1928-1982)

Etats-Unis, 2002, The Minority Report : Classic Stories by Philip K. Dick

Gallimard, coll. Folio S.F. , 2002

Réunir dans un recueil les nouvelles de Philip K. Dick ayant fait l’objet d’adaptations cinématographiques à l’occasion de la sortie de Minority Report, adaptation de la nouvelle "Rapport minoritaire" (1956) réalisée par Steven Spielberg... pour commerciale qu’elle puisse paraître, l’idée a du bon car elle permet de retrouver quelques récits écrits entre 1953 et 1969 qui autrement sont disséminés dans le flot des œuvres de K. Dick, et surtout de confronter originaux et adaptations. Ne manque à l’appel que "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" à l’origine du film de Ridley Scott, Blade Runner. Y figurent en revanche quelques autres récits n’ayant pas été adaptés mais toutes ont un brin (d’un volume approchant parfois la meule) de folie schizophrène, menant le lecteur à s’interroger sur le concept de réalité, bref des récits kantiques en quelque sorte.

Avant de s’insterroger sur la nature de la réalité, encore faut-il se questionner si celle-ci ne nous est pas dissimulée. S’il n’était pas schizophrène, Dick devait être paranoïaque. "Rapport minoritaire" trahit bien son originalité. Foin de space-opera ou de prédiction futuriste quant au devenir de l’humanité car en mettant en scène une société humaine dans un futur apparemment très proche et noirci, Dick préfigure les récit de Brunner ou de Spinrad. John Anderton, héros de la nouvelle, est le préfet de la brigade de police précrime dont le rôle est d’arrêter les meurtriers avant qu’ils ne commettent un crime grâce aux visions prédictives de mutants hydrocéphales. Il va sans dire que l’existence d’une telle force de police pose à la fois des problèmes philosophiques - peut-on arrêter quelqu’un pour un crime qu’il n’a pas commis ? - et politiques par la nature même du pouvoir qu’elle procure à la police. Lorsque les mutants prédisent un crime commis par le préfet, quelles options reste-t-il à celui-ci pour échapper à la détention sans sombrer dans la paranoïa ? Avec habileté, l’auteur utilise les arcanes du thriller et celles de l’histoire temporelle... ce que n’a pas su faire Steven Spielberg.

Tout aussi paranoïaque, "Un jeu guerrier" (War Game, 1959) renouvelle un peu les histoires d’invasions extra-terrestres tout en livrant une critique subtile de l’impérialisme commercial. Dans la même veine "Ce que disent les morts" (What the dead men say, 1964) livre une troisième histoire de complot dénonçant les liens unissant monde des affaires et monde politique ainsi que la manipulation monopolistique exercée sur les médias. Enfin avec "Nouveau modèle" (Second Variety, 1953), adapté sous le titre Planète hurlante (Christian Duguay, Screamers, 1995), paranoïa et schizophrénie se mêlent pour le commandant Hendricks qui défend un désert de cendres fruit du feu nucléaire contre l’envahisseur communiste. Pour résister encore et toujours à l’envahisseur, le Commandement allié a imaginé des robots-tueurs construits à partir d’usines souterraines et automatiques et capables d’innovation... jusqu’où ?

Vient donc le moment où la réalité peut différer ce que nous souhaitons ou percevons. Dans "Ah, être un Gélate..." (Oh, to be a Blobel !, 1964), George Munster, ancien combattant de la guerre contre les amibiens Gélates, a perdu sa santé et sa normalité pour servir l’ONU en acceptant d’espionner l’ennemi unicellulaire. La guerre terminée, il ne peut que difficilement apprécier d’être périodiquement métamorphosé, et pourtant... . Un récit qui est loin d’être neutre, manifestant l’hostilité de son auteur contre toute guerre, tout en reconnaissant la part de schizophrénie que nécessite la pleine compréhension d’un peuple extrêmement différent.

"Souvenir à vendre" (You can’t remember if for you wholesale, 1966) fait d’abord appel aux fantasmes : partant du principe que tout être humain a des rêves de grandeur, K. Dick postule que dans le cas de Douglas Quail ces rêves d’agent secret en mission sur Mars ne sont en fait que des souvenirs qu’intervention a cherché à effacer. Une supposition que Paul Verhoeven a su exploiter avec Total Recall dans une direction qui n’est pas forcément celle prise par l’auteur pour lequel la réalité n’est pas toujours ce qu’elle semble être.

Ultime pas avant de basculer, le changement de réalité n’est plus seulement subi ou vécu par le protagoniste mais devient subit et vécu : Spence Olham, scientifique précieux à la cause terrienne dans la lutte qu’elle livre contre les extra-terrestres, est-il bien celui qu’il prétend être ou bien serait-il "L’imposteur" (Impostor, 1953) que Gary Felder a récemment adapté (Impostor, 2002).

Et puis avec "La foi de nos pères" (Faith of our fathers, 1967), le saut est fait et la réalité cesse totalement d’être ce qu’elle semble. Dénonciation des errements des systèmes mono-partis soviétique et maoïste la nouvelle se passe dans un futur où les Etats-Unis n’ont pas su empêcher sa propagation dans toute l’aire pacifique, mais dérive rapidement vers l’interrogation quant à la nature même de la réalité et la nécessité de sa connaissance.

Cerise sur le gâteau à la crême de LSD, "La fourmi électrique" (The electric Ant, 1969) livre les interrogations d’un être qui se croyait humain et se découvre cybernétique. Et si la réalité n’était propre qu’à chaque individu et n’existait tout simplement pas hors de l’individu ?

A l’issu de quoi, le lecteur pourra s’interroger sur la réalité et surtout sur les effets de produits psychotropes sur le cerveau d’un auteur déjà un peu fragile et dont on est même pas sûr qu’il en consommait. Une chose est sûre, la drogue, que la plupart des gens ont pris dans les années soixante à en croire l’anthologiste Malcom Edwards (encore un qui prend son cas pour une généralité...), ne sauraît expliquer toute la part de génie ou de folie de Philip K. Dick.

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