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Le moineau de Dieu

lundi 10 avril 2000, par von Bek

Mary Doria RUSSELL (1950-)

Etats-Unis, 1996, The Sparrow

Albin Michel, 1998, traduit par Béatrice Vierne

Voici un roman qui va déranger plus d’un de ses lecteurs, si d’aventure ceux- ci avaient une vision très cynique et ironique du catholicisme. Mais il est vrai que de tels lecteurs n’auraient pas eu l’idée de lire Le Moineau de Dieu, du moins s’il avaient pris la précaution de parcourir le quatrième de couverture. Pourtant, passé l’inquiétude face à un roman de S.F. où Dieu semble tant présent et l’agacement quant au ridicule de la traduction du titre - bien que l’esprit du titre original ait été respecté, le nom de ce passereau n’a pas les mêmes connotations dans les deux langues -, quant aux approximations sur le rôle de la Compagnie de Jésus lors des Grandes Découvertes - Ignace de Loyola ne fonde la compagnie qu’en 1534 - et sur la traduction de la devise de l’ordre - Ad majorem Dei gloriam doit se traduire par " pour une plus grande gloire de Dieu " et non " pour la plus grande gloire de Dieu " -, passé ces pinailleries donc, le livre de Mary Doria Russell se révèle un pur trésor de créativité et d’intelligence. A commencer par son sujet.

Au début du XXIe siècle, Jimmy Quinn, un astronome du télescope d’Arecibo (Porto Rico) capte les émissions radioélectriques d’une planète proche d’Alpha du Centaure. A cette époque où l’homme a commencé à exploiter les ressources minières de la Lune, de Mars et des astéroïdes, le voyage vers cette première trace de vie extraterrestre dans l’univers ne relève pas de la fantasmagorie. Que le jeune chercheur ait été lié à Emilio Sandoz, révérend père de la Compagnie de Jésus, et que celle-ci prenne de court les Nations Unies pour envoyer en grand secret une mission scientifique composée de 4 jésuites et de 4 laïcs, voilà qui est plus surprenant. Lorsque quatre ans après l’arrivée de la mission jésuite, la mission de l’O.N.U. débarque sur Rakhat, c’est pour affronter la vindicte d’une des espèces développées et sortir le seul survivant, le père Sandoz, d’un lupanar où il se prostituait. Renvoyé seul à bord de son vaisseau, le père Sandoz regagne la terre dix-sept après à l’état d’épave et se trouve confronté au scandale, d’autant que la seconde mission terrienne ne donne plus signe de vie.

La nouveauté du Moineau de Dieu ne réside pas dans l’idée d’une mission jésuite extra-terrestre et des problèmes théologiques qui peuvent en résulter, James Blish a déjà exploité la veine avec Un cas de conscience (prix Hugo 1959) et Philip José Farmer a déjà fait des tribulations spatiales du père Carmody, l’objet de plusieurs nouvelles. La nouveauté réside davantage dans la forme, car le récit débute en 2059, au retour du père Sandoz en état de choc profond. Toute l’habileté narrative de M. D. Russell repose dans cette construction qui lève progressivement le voile sur le déroulement de la mission, tandis que le préposé général de l’ordre parvient à extirper une confession d’Emilio Sandoz. Le plus novateur vient de la société extra-terrestre décrite et surtout de la profondeur des personnages, très fouillée, qu’il s’agisse du couple peu commun des sexagénaires Anne et George Edwards, qui allient intelligence et humour, de Sofia Mendes, juive sépharade qui n’a dû sa survie qu’à sa quasi-mise en esclavage, de Jimmy Quinn, maladroit géant irlando-américain, et surtout des jésuites que l’entrée dans la vie religieuse n’a pas débarrassé des affres de l’humanité. Sous la soutane, repose toujours un homme. Le Moineau de Dieu est donc un roman d’âmes partagées entre la torture quotidienne, le doute quant au rôle de Dieu et l’extase de la découverte d’une nouvelle création. Par bien des aspects, il n’est pas sans rappeler Hypérion, le roman de Dan Simmons.

Pour autant, il n’est pas un roman théologique : la dure réalité de la planète Rakhat, une fois découverte, n’apporte pas la preuve ontologique, bien au contraire. Pas plus qu’il ne s’agit d’un roman dévot, d’ailleurs, bien que l’auteur ait fait ses études primaires au sein de l’enseignement catholique, elle s’est convertie au judaïsme par la suite (ce qui explique le personnage de Sofia Mendes). Il s’agit plutôt d’un roman tragique sur les rapports humains, sur le rapport intime de l’homme au divin, et sur le choc culturel qu’occasionne la rencontre de deux civilisations radicalement différentes. Dit ainsi, on pourrait croire que le bouquin s’annonce comme ennuyeux : c’est tout le contraire.

D’autant que rien n’est laissé au hasard : étant elle même paléoanthropologue, l’auteur a chercher à conférer un caractère de scientificité à son roman sans toutefois en faire un roman de hard science fiction. Il faut bien avouer cependant que le vaisseau-astéroïde Stella Maris n’est pas sans évoquer l’équipée d’Au cœur de la comète de Gregory Benford et David Brin. En outre, les problèmes de perturbation d’un environnement par des créatures extra-planétaires ne sont pas omis. D’ailleurs, le déclenchement de la catastrophe n’est pas étranger à ces problèmes d’immixtion.

Bourré d’humour, Le Moineau de Dieu fait aussi appel occasionnellement à des références cinématographiques (Frankenstein Junior de Mel Brooks) ou à des références littéraires plus sérieuses. D’une manière générale, l’amour et la sexualité sont omniprésents mais le récit ne sombre pas dans le graveleux : le roman puritain est donc bien loin.

Bref, au cas où vous ne l’auriez pas compris, il s’agit d’un roman divinement génial, qu’une suite, commencée alors que Le Moineau de Dieu n’était même pas encore publié, vient prolonger par un retour sur Rakhat. Malheureusement, intitulée Children of God, celle-ci n’a pas encore paru en français (mais que font les éditeurs ?). D’autre part, il est bon de signaler que Le Moineau faisait partie des nominés pour le Hugo 1999,remporté par Sans parler du chien, et que les studios Universal étudient le scénario d’une adaptation cinématographique.

EXCLUSIF : Un commentaire de l’auteur

I already noticed one thing I want to comment on. My conversion to Judaism does not "explain Sofia Mendes." When I was writing, I wanted a woman who would seem ideal to Emilio Sandoz—her Spanish beauty, her intelligence, her seriousness would appeal to him very powerfully. But Emilio is himself very attractive, and he is not surprised when women (and men, and ALIENS !) respond to him sexually. So I wanted Sofia to be the opposite : she would be hostile to him at the beginning, and he cannot understand why. That provides an intellectual and personal tension between the two characters. When he realizes that she is a Sephardic Jew, who is hostile to Spanish Catholicism, he is able to change his manner and work with her. Slowly, the relationship changes. It would be boring if they were both attracted to each other right away. Then the book becomes a cliche about priests breaking their vows.

Mary Doria Russell, e-mail du 12 avril 2001

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