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Les navigateurs de l’impossible

dimanche 27 janvier 2002, par Maestro

Anthologistes : France-Anne RUOLZ & Stéphane NICOT

France, 1980-2000

Imaginaire sans frontières, 2001, 464 p.

Comme suite logique de l’aventure Galaxies, l’équipe de cette revue devenue incontournable dans le paysage science-fictif français, menée par l’omniprésent Stéphane Nicot, se lance dans l’aventure éditoriale, en montant Imaginaires Sans Frontières , qui publie coup sur coup plusieurs ouvrages d’intérêt. Parmi eux, cette anthologie qui poursuit l’exploration rétrospective de l’histoire fort riche de la SF littéraire française, puisque le choix a été fait de regrouper les différents lauréats du prix Rosny aîné de 1980 à 2000, dans la catégorie " nouvelle ". Ces fictions sont utilement complétées par un bien trop court texte de l’érudit Joseph Altairac sur Rosny aîné (dont une des œuvres, Les navigateurs de l’infini, a d’ailleurs inspiré le titre du recueil), et le témoignage de Pascal J. Thomas sur l’historique croustillant du prix. Dans le lot, on retrouve quelques textes déjà (re)publiés ailleurs ("La Créode" de Joëlle Wintrebert, présente dans Les enfants du mirage, ou "Faire-Part" et l’excellent "H.P.L. (1890-1991)" de Roland C. Wagner qui étaient inclus dans son recueil Musique de l’énergie, ainsi que le désormais classique "Déchiffrer la trame", de Jean-Claude Dunyach, contenu aussi bien dans Le futur a déjà commencé que dans le recueil éponyme), mais la plupart des nouvelles profitent de cette entreprise pour voir leur qualité apparaître au grand jour.

Beaucoup de ces nouvelles sont en effet à la fois réussies formellement et sur le fond. A ce titre, "Le clavier incendié", de Lionel Evrard, est même de la littérature "traditionnelle", puisque sur le thème de la difficulté d’écrire, d’exister, et avec un arrière-plan d’antimilitarisme, aucun aspect science-fictif véritable n’est visible... Plusieurs des textes du début de la période sentent d’ailleurs clairement leur époque : "Chronique de la vallée", de Jacques Boireau, décrit ainsi la résistance acharnée des habitants d’une vallée profonde face à la désindustrialisation puis à la construction d’un barrage ; reflet des luttes écologiques d’alors (Larzac, Superphénix), il embaume un parfum de désespoir assez terrible, sans doute influencé par le recul révolutionnaire de la fin des années 70... A cet égard, également, "BumpieTM", de Francis Valéry, récompensé en 1989, est un avertissement fort sur le ravage de certaines drogues, bien éloigné des illusions quelque peu naïves des années 70. Seul "Accident d’amour", de Wildy Peloud, fait quelque peu tâche, avec un côté gore en partie gratuit...

"La nuit des Albiens", de Christine Renard, est plus classique, avec sa peur de l’autre, plus intemporel aussi, à moins de voir dans ces mystérieux Albiens une projection du péril rouge... Ce thème de l’altérité est également au centre de "Le chemin de la rencontre", de Sylvie Lainé, qui décrit la vie en symbiose de deux espèces extra-terrestres, les Bats et les Spiriens, et le choix qui divise le couple humain venu étudier cette communauté... "L’heure du monstre" décline également cette thématique, autour de l’amour atroce d’un homme mûr bardé de prothèses et d’une adolescente bossue, un récit qui peut difficilement laisser indifférent...

Quant à ceux dont la qualité formelle l’emporte sur la trame narrative, on peut citer "Faire-Part" de Roland C. Wagner, les poétiques "Pleine peau" de Jean-Pierre Hubert, et "L’autre côté de l’eau" de Jean-Claude Dunyach (une poésie douce amère), ou, de Francis Valéry, "Les voyageurs sans mémoire". "Mémoire vive, mémoire morte", de Gérard Klein, combine fond et forme, dans une histoire d’amour tragique qui est en même temps qu’une condamnation de certaines dérives technologiques, un bel éloge de l’humanité et de ses faiblesses. Dans "Roulette mousse", de Jean-Pierre Hubert, qui relate les récits de divers amateurs de bière condamnés pour non-respect des nouvelles lois de prohibition, ne peut-on également voir une célébration du plaisir collectif de la boisson, réflexion épicurienne s’il en est ? Enfin, Raymond Milési, avec "Extra-Muros", nous livre une jolie et poignante fable sur la sortie de l’enfance et de l’innocence, un joli texte pour conclure provisoirement sur une note quelque peu nostalgique, tant il est vrai que toute une partie de la SF française reflétée dans cette anthologie possède un je ne sais quoi de tristesse rentrée...

Certains textes présentent toutefois une dimension politique sous-jacente, et ils sont tous postérieurs -ce n’est certainement pas un hasard- à 1995. Ainsi "Dans l’abîme", de Serge Lehman, mêlant critique de l’armée et du pouvoir ; ou "Voyage organisé", signé feu Serge Delsemme, qui dénonce, sous la forme d’un échange de lettre, et à l’aide d’un humour particulièrement grinçant, les ravages du tourisme commercial, et plus généralement du système capitaliste actuel. Les deux nouvelles les plus récentes sont encore plus représentatives de cet engagement de l’actuelle SF française. "L’amour au temps du silicium", de Jean-Jacques Nguyen, aborde à la fois le thème de la ségrégation sociale croissante, entre les habitants du Cercle (les privilégiés) et ceux du dehors, laissés pour compte de la prospérité, et celui du clonage et de ses limites. Sylvie Denis, enfin, avec son très réussi " Dedans, dehors ", garde en filigrane le thème de l’inégalité sociale, pour décliner en outre celui du sectarisme, livrant ainsi un hymne à la liberté de l’enfance et à la révolte, patiente et obstinée. Une bien belle conclusion !

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