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Nouvelles de l’anti-monde
dimanche 7 avril 2002, par
George LANGELAAN (1908-1972)
Grande-Bretagne, 1962
Ce recueil de nouvelles, écrites par un auteur sans doute inconnu des amateurs de SF francophone, mérite le détour pour certains textes, en particulier celui qui inspira à Hollywood le désormais classique "La mouche noire", dont Cronenberg fit un remake. Pour le reste, on a affaire à un ensemble inégal, au style neutre, parfois naïf, et qui possède un petit côté désuet, avec des personnages assez " vieille France "... [1]
On mettra d’emblée de côté un certain nombre de nouvelles qui ont peu à voir avec notre genre de prédilection. Ainsi, " Le miracle ", qui ouvre l’ouvrage, relate l’histoire d’une victime d’un accident de train qui tente de faire croire qu’il se retrouve paralysé des jambes afin de toucher de l’argent, et dont le machiavélisme se retourne finalement contre lui par la grâce... d’une intervention divine ! Sans être dénué d’humour, ce récit n’a strictement rien à voir avec la SF ou le fantastique. De même, " Chute dans l’oubli " s’avère plus proche des récits de Maupassant aux terribles dénouements narratifs. Ici, un mari, accusé de l’assassinat de sa femme qu’il détestait, ne parvient pas, durant l’attente qui précède sa pendaison, à se souvenir de la preuve de son innocence... Une nouvelle plutôt bien menée, néanmoins, bien qu’un peu tirée par les cheveux. Enfin, " Sortie de secours " a également pour sujet des déboires conjugaux : un mari jaloux monte une machination pour se débarasser de son ami, connu dans la résistance à l’occupant nazi, qu’il soupçonnait d’avoir eu une aventure avec sa femme.
A côté de ces textes plutôt hors sujet, quelques-uns se rapprochent nettement plus du fantastique. Passons rapidement sur " Récession ", qui offre une vision idéaliste de la survie d’une âme et de sa réincarnation en un nouveau corps, pour mentionner " Le tigre récalcitrant ", une nouvelle à la frontière du fantastique : un professeur bourgeois quelque peu complexé se retrouve doté du pouvoir de faire faire aux animaux ce qu’il désire, ce qui se terminera de façon tragique. Finalement, la morale est souvent gagnante, avec Georges Langelaan ! " L’autre main " est plus intéressante. Un individu lambda voit en effet le contrôle de sa main lui échapper à certains moments, celle-ci adoptant la démarche d’autres personnes, le plus souvent criminelles. Seul regret pour cette histoire qui évoque en partie Les mains d’Orlac, aucun début d’explication n’est donné de ce curieux transfert...
Avec " Robots pensants ", nous entrons plus franchement dans le monde de la SF. Un comte greffe en effet des éléments d’anatomie animale ou humaine sur des robots pour en faire des être crédibles et spécialisés (chiens de garde, joueur d’échec), mais on regrettera, dans ce conte longuet et prévisible, l’absence d’ambition du scientifique... Quant à " Temps mort ", il s’agit du témoignage tragique du cobaye d’une expérience provoquant en lui un déraillement du temps, l’isolant d’un monde devenu pour lui quasiment immobile. Mais le récit, en plus de ne pas être d’une originalité criante, est trop long, ce qui amoindrit son intérêt.
Reste deux nouvelles, deux textes forts et émouvants. " La mouche ", donc, dont le film de la fin des années 50 est une adaptation fidèle ; on soulignera juste, parmi les différences, la deuxième téléportation du savant et son résultat pour le moins hybride... Un texte vraiment réussi, même si on peut douter de son statut de " nouvelle la plus terrifiante écrite au XXe siècle ", ainsi que l’arbore le quatrième de couverture. " La dame d’outre-nulle part ", enfin, qui part d’un mystère, celui de la disparition inexpliquée du frère du narrateur, est un autre sommet. Ce dernier va progressivement mettre à jour la communication que son frère a eue, par le biais d’un téléviseur hors des heures de programme (un cas de figure désormais impossible !), avec des êtres humains habitant une autre dimension suite à leur situation passée au centre d’une explosion atomique. Même si le prétexte scientifique est plus que douteux (surtout en sens inverse...), cette nouvelle reste émouvante, avec cette histoire d’amour impossible et une chute ouverte et poignante.
Cela fait tout de même bien peu pour un recueil entier. Et je ne pense pas que l’édition dont j’ai pu disposer, qui était amputée d’une trentaine de pages et de trois nouvelles, soit la seule fautive. Un témoignage historique, donc, à l’intérêt fortement limité.
[1] A l’heure où notre estimé maître a rédigé cette chronique, il ignorait et ignore toujours s’il n’a pas lu ces lignes, que George Langelaan était un sujet de Sa Gracieuse Majesté, bien qu’il fût né en France. Il faut donc goûter avec une certaine ironie les commentaires non moins justes de Maestro.