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Le nuage pourpre
dimanche 5 août 2001, par
Matthew P. SHIEL (1865-1947)
Grande-Bretagne, 1901
Denoël, coll. Présence du Futur
Le nuage pourpre est un roman précurseur de l’école catastrophiste britannique, à laquelle s’apparentent, dans l’après seconde guerre mondiale, des auteurs comme John Christopher (Terre brûlée), John Wyndham (Les Triffides) ou même Brian Aldiss (Terrassement) ; on soulignera également la parenté troublante qu’entretient avec ce roman Le nuage vert du pédagogue A.S. Neill, écrit dans l’entre-deux guerres. Il raconte en effet l’errance du seul survivant de l’espèce humaine, décimée -avec la plupart des animaux- par un nuage toxique, sans doute issu d’une éruption volcanique (un prétexte quelque peu tiré par les cheveux), qui a traversé la totalité de la Terre, n’épargnant que les pôles. Ce survivant, fort justement nommé Adam, de retour d’une expédition au pôle nord dont il est l’unique rescapé, passe son temps à tenter de découvrir d’autres personnes épargnées par ce cataclysme et à profiter des ressources d’une société qui lui sont désormais toutes offertes, parcourant ensuite un monde qui n’est plus qu’un gigantesque cimetière.
En dépit d’une fin légèrement plus optimiste, mais qui traine en longueur suite au refus tout victorien d’une histoire d’amour simple et naturelle, ce roman est d’une impitoyable noirceur, à mille lieux de la confiance et de l’enthousiasme des Occidentaux en ce début du XXème siècle. Pour preuve, l’incapacité complète de la science à enrayer la catastrophe, ou la forte teinture de religion dont est recouvert le roman, l’empoisonnement de l’espèce humaine étant vu comme un châtiment divin mérité. Mais ce qui intéresse Shiel dans cette optique, c’est le sort d’un seul individu, que l’on peut voir comme un représentant typique de l’humanité, confronté à la solitude la plus absolue que l’on puisse imaginer, et à des tentations parallèles à celles que pouvait connaître le détenteur de l’anneau de Gygès, mais dans un monde peuplé uniquement de cadavres (sans d’ailleurs que leur décomposition n’engendre de maladies gênantes pour Adam, une incohérence probablement voulue)... De ce fait, les réactions des divers individus à l’approche du nuage ne nous sont connues qu’indirectement, par les représentants de différentes nationalités présents sur le sol anglais et ayant fui leur pays (avec d’ailleurs, de-ci de-là, quelques manifestations de racisme, ou tout simplement de supériorité coloniale), par la disposition des masses de cadavres au moment de leur agonie, ou par des témoignages écrits recueillis par le narrateur. Les descriptions de plusieurs sites géographiques (en France, en Angleterre ou même à Constantinople) semblent par ailleurs témoigner du vécu de voyageur de Shiel.
L’introduction déplace pourtant quelque peu la perspective, puisque le roman est présenté comme la transcription des visions d’une mystérieuse femme, capable de voir dans le passé comme dans l’avenir, et qui révèle ainsi le témoignage écrit d’Adam. On se situe ainsi dans une optique proche de celle de L’éternel Adam, de Jules Verne, écrit quelques années plus tard. Un roman à la fois oppressant et malsain dont on ne ressort pas intact.