Pages perdues

Paul DI FILIPPO (1954-)

Etats-Unis, 1998, Lost Pages

J’ai Lu, 2002

Paul Di Filippo apprécie les univers parallèles ! Après La trilogie steampunk, qui déclinait ce dernier genre, Pages perdues met l’uchronie à l’honneur. Dès la savoureuse introduction -un article intitulé " Qu’est-ce qui a tué la science-fiction ? "-, on se retrouve dans un monde où la SF a décliné et pratiquement disparu à partir de 1966, date de début de la diffusion de la série télévisée... Star Trek ! Un monde dans lequel c’est la Chine qui a envoyé le premier satellite artificiel, et où George Lucas et Steven Spielberg sont des réalisateurs de films... pornographiques ! Le livre proprement dit se compose de diverses nouvelles, mettant chacune en valeur le destin alternatif de certaines figures connues, dont la plupart se rattachent, de près ou de loin, à la littérature de SF.

On découvre ainsi Franz Kafka super-héros justicier aux Etats-Unis (" La dernière affaire du Choucas ") ; Anne Frank qui échappe à la déportation nazie, et réalise son rêve de devenir actrice à Hollywood ; Antoine de Saint-Exupéry qui ne meurt pas dans la Méditerranée, mais se retrouve porte-parole de Wells (" Terre sans hommes ") ; Robert Heinlein président des Etats-Unis, dans une réalité mélant son Histoire du futur et Starship trooper (" Mairzy Doats ") ; Campbell véritable bienfaiteur de l’humanité (" Le monde de Campbell ") ; Alfred Bester, rédacteur en chef de magazine, et Theodore Sturgeon, gourou d’une secte, pionniers d’un stade supérieur de l’évolution de l’humanité, incarnations de Plus qu’humains... La seule nouvelle écrite à quatre mains (avec Rudy Rucker), " Instabilité ", est nettement plus psychédélique et délirante, ce qui n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait qu’elle met en scène Kérouac et Cassady !

A la lecture de ces divers textes, on se rend vite compte de la multiplicité des réalités, à l’instar de la série télévisée Sliders, Saint-Exupéry vivant dans un monde décimé par un mystérieux fléau, et Campbell sur une Terre où Staline est renversé par une nouvelle révolution... Le cœur de la nouvelle " Les Troisièmes Guerres mondiales " se base d’ailleurs sur la possibilité d’un XXe siècle sans énergie atomique ni fusée. Au-delà de l’exercice de style bourré d’humour, ces Pages perdues s’avèrent être une lecture particulièrement agréable, voire émouvante (la nouvelle " Anne ") et une habile variation sur les personnalités d’individus célèbres (rendue d’autant plus intéressante grâce à l’important travail des traducteurs dans les notes de bas de pages). " Linda et Phil ", dont le héros n’est autre que Philip K. Dick, est une réussite patente, restituant à la fois le style et l’atmosphère des textes du héros-modèle, proche en cela du Requiem pour Philip K. Dick de Michael Bishop. Chapeau !