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La séparation

vendredi 1er juillet 2005, par von Bek

Christopher PRIEST (1943-)

Grande-Bretagne, 2002, The Separation

Denoël, coll. Lunes d’encre, 2005, 455 p.

D’habitude lorsque uchronie et Seconde Guerre mondiale se mêlent, c’est pour mettre en scène une dyschronie (me demande si je ne viens pas de créer un nouveau mot, là , présentement, faudrait aller consulter L’histoire revisitée (Eric Henriet, 1999)), soit une histoire alternative dans laquelle les Nazis auraient gagné la guerre, donc une histoire beaucoup plus noire (enfin ça dépend pour qui, parce que pour l’Axe, ce genre de récit tient plutôt de l’uchronie. Tout est une question de point de vue. Et puis, faudrait quand même pas croire que l’histoire réelle de la guerre est rose, n’en déplaise à Blake Edwards et à son sous-marin (Opération jupons, 1959)). La côte Ouest des Etats-Unis annexée au Japon dans Le maître du Haut-Château (Philip K. Dick, 1962), les SS de la nouvelle "Weinachtsabend" (Keith Roberts, 1972) ou le Berlin de Fatherland (Robert Harris, 1992) n’ont rien de particulièrement attractif pour des amoureux de la liberté. Aussi, lorsque dès les premières pages de La séparation, Christopher Priest évoque une Grande-Bretagne qui aurait interrompu la guerre en 1941, mais qui n’en demeure pas moins libre, le lecteur s’étonne. Etonnement qui va croissant parce l’auteur du Monde inverti innove aussi avec une version janus de l’uchronie [1].

Dans l’Angleterre qui a renoncé à poursuivre la lutte et conclu une paix à l’amiable avec Adolf (enfin presque avec lui...), Stuart Gratton est, une quarantaine d’année après le conflit, un historien spécialiste de ce qui est alors la guerre de 1939-1941. Son dernier livre La fureur épuisée rassemble des témoignages de survivants de l’opération Barbarossa (invasion de l’U.R.S.S. par l’Allemagne en 1941 - il y a quand même des trucs qui ne changent pas). Au cours d’une séance de dédicace une femme lui apporte le journal de guerre de son père, Jack Sawyer, pilote de bombardier dans la R.A.F. Seulement dans le récit, la guerre ne s’arrête pas en 1941 et inextricablement, les histoires de Jack et Joseph Sawyer, deux frères jumeaux, se mêlent et dévoilent deux manières d’appréhender le conflit, deux déroulements différents dont le point de divergence repose dans l’accueil fait à l’incroyable proposition de paix formulée par Rudolf Hess, l’adjoint du Führer, en mai 1941.

Idée novatrice assurément que cette vision double face de l’Histoire, idée périlleuse définitivement car le récit tend à s’enferrer dans la psychologie des jumeaux et distille les détails allêchants, principalement ceux qui esquissent le monde après-guerre, avec parcimonie. En revanche le processus établissant la conclusion de la paix, via des négociations au Portugal, s’avère détaillé... et ennuyeux. Idée gênante que ce renoncement britannique, contre la volonté de Winston Churchill. Il faut admettre ici que le rationalisme qui prévaut dans la paix échoue à bâtir une vision convainquante de la paix de 1941 en annonçant un incroyable retrait allemand de la partie occidentale de l’Europe et une encore plus incroyable application du plan d’émigration des juifs vers Madagascar, possibilité réellement émise par Hitler en 1940, mais qu’il n’a rien fait pour appliquer. Lorsqu’il évoque un renversement populaire d’Hitler en 1941, Christopher Priest quitte selon moi le domaine de l’uchronie pour entrer dans celui du fantastique. Je trouve qu’il y a quelque chose de gênant devant une reconstruction aussi naïve de l’Allemagne nazie...


[1A noter que l’on retrouve ici un thème déjà utilisé dans Le prestige. Christopher Priest éprouve-t-il une fascination pour la gemelité ?

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