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La part de l’autre
samedi 7 octobre 2006, par
Eric-Emmanuel SCHMITT (1960-)
France, Albin Michel, 2001
Avec ce roman, le déjà reconnu Eric-Emmanuel Schmitt propose une uchronie sur un thème a priori extrêmement parcouru, celui du nazisme. Toutefois, l’originalité de son propos est son choix du point divergent : plutôt que d’explorer une énième fois la possible victoire des forces de l’Axe, il envisage ce qui aurait pu advenir si Hitler avait été reçu à l’académie des beaux-arts de Vienne en 1908 au lieu d’y être recalé. Alternent donc les récits des deux vies, la fictive et la réelle, avec la mise en parallèle des évolutions des caractères, soumis à des stimuli fort diversifiés.
Le procédé est séduisant, cependant, il trouve assez vite ses limites. D’abord par des développements tous personnels de l’auteur sur le parcours du Hitler que nous connaissons : la volonté d’extermination des rats dans les tranchées comme annonciatrice de la solution finale est caricaturale, et faire croire que cette même solution finale est déjà envisagée au moment de la rédaction de Mein Kampf frise l’anachronisme ; et que dire de cette hypnose d’Hitler dans un but thérapeutique au sortir du premier conflit mondial, qui expliquerait en grande partie son désir de montée au pouvoir !
D’autre part, en dehors du fait que faire reposer l’avènement du nazisme, la transformation de l’Allemagne en dictature totalitaire et la Seconde Guerre mondiale sur les épaules d’un seul homme, aussi décisif soit-il, reste critiquable pour les tenants d’une histoire plus en profondeur, l’auteur a tendance à accorder un rôle décisif et sans doute quelque peu démesuré à la névrose sexuelle d’Hitler dans le mûrissement de ses idées d’extrême droite. Sa guérison par Freud lui-même dans la vie imaginaire, en plus d’être plutôt improbable du fait de ses origines sociales fort modestes, se déroule d’ailleurs bien trop rapidement et facilement pour être crédible. Les pires dictateurs sont-ils tous des frustrés ? Le cas de Mao incline à faire preuve de plus de nuance...
Ce choix quelque peu exclusif et discutable est toutefois tempéré d’une part par la peinture (surréaliste !) comme moyen pour le Hitler fictif d’exorciser ses démons, et d’autre part en privilégiant l’hypothèse de la construction des individus en fonction de leur vécu : loin de la thèse simpliste selon laquelle Hitler serait presque par essence le symbole du mal absolu, Eric-Emmanuel Schmitt estime qu’il aurait pu parfaitement devenir un amant d’exception, un artiste habité et même un père de famille aimant et aimé. Le contraste, certes, peut paraître en partie forcé, mais il ne peut que susciter la réflexion, chacun pouvant s’interroger sur le monstre potentiel qui dort en lui... Un choix qui se place en complète opposition à celui de Norman Spinrad dans Rêve de fer.
On regrettera néanmoins les développements un peu rapide sur l’histoire alternative des années 30 à la fin des années 60, l’Allemagne dotée d’un régime conservateur et nationaliste effectuant une guerre éclair contre la Pologne pour récupérer ses terres perdues en 1919, puis devenant la première puissance mondiale (thèse pour le moins discutable au vu de la montée en puissance déjà sensible des Etats-Unis à l’issue de la Première Guerre mondiale), tandis que Israël ne voyait jamais le jour et que l’URSS finissait par s’effondrer au début des années 60...