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Dimension Espagne
samedi 30 décembre 2006, par
Sylvie MILLER (1957-) (anthologiste)
France, 2006
Black Coat Press, collection « Rivière blanche », 320 pages.
C’est d’une excellente initiative des éditions Black Coat Press que nous allons vous entretenir. Une initiative qui, on l’espère, connaîtra de nombreuses suites, tant ce principe d’une anthologie nationale est riche de découvertes de toutes sortes. Sylvie Miller s’est chargé de la compilation des onze nouvelles figurant ici, en plus de présenter les sept auteurs retenus. Pour tous ces textes, dont aucun n’est inédit en France, les premières parutions dans des revues sont à chaque fois précisées en conclusion.
Le plus connu des espagnols sélectionnés n’est autre que Juan Miguel Aguilera, auteur des appréciés La folie de Dieu et Rihla, avec trois nouvelles (il a également réalisé la couverture). « La forêt de glace » nous emmène dans les comètes du nuage de Oort, avec les mystères tapis à bord d’un navire ensemenceur échoué sur une de ces boules de glace. Non dénué d’une certaine poésie, avec ses arbres adaptés au vide spatial et destinés à capter la moindre lumière solaire, ce texte flirte également avec le fantastique, de par la forme de vie alternative qu’il expose... « Dernière visite avant le Christ » est plus classique mais tout aussi agréable : récit de tourisme temporel, il explore le thème de la crucifixion de Jésus. Là, contrairement au Voici l’Homme de Moorcock, où le narrateur se sacrifiait pour préserver notre continuum historique, des terroristes musulmans sauvent Jésus de son châtiment pour confirmer l’exactitude du Coran. Si Aguilera, dans ce cadre, défend l’hypothèse d’un Jésus humain plutôt que la thèse mythique, on notera qu’il fait assez logiquement de Paul le véritable créateur du christianisme, un Paul s’appuyant ici sur Jean Baptiste à défaut de Jésus resté vivant et ayant pu mettre par écrit ses enseignements. Enfin, « Voyage au centre de l’univers » imagine la rencontre entre un Jules Verne vieillissant et Teilhard de Chardin, qui fait découvrir au premier la concrétisation future de ses élaborations théoriques : noosphère, point Oméga de rencontre entre l’humain et le divin, avec en prime la sphère de Dyson, bref, une vision cosmique digne d’un Stapledon, bien qu’un peu trop statique.
Moins connue, une auteur de SF est aussi au sommaire. Elia Barcelo décline le thème des humains ressucités, déjà exploré avec brio par un Silverberg : avec « Les réapparus », elle insiste sur le traumatisme post-mortem, et le manque partiel d’originalité est compensé par une chute coup de poing très efficace. Sur un thème proche, celui de la mise à l’écart des personnes âgées dans une ville uniquement habitée par leurs semblables, Daniel Mares (également musicien de rock progressif) et ses « Champs d’automne », à travers une enquête policière faisant se côtoyer les générations, évoque l’effrayante perspective d’une mort de plus en plus difficile à atteindre... Victor Conde, pour sa part, dans « Le fil de l’épée de bois », condamne la guerre et les ravages qu’elle produit sur les guerriers eux-mêmes, jusqu’à l’atroce, à travers une histoire où les ennemis restent obscurs, ce côté allusif laissant d’ailleurs le lecteur en partie sur sa faim, en dépit de la beauté du texte.
Comme Aguilera, Rafael Marin propose avec « Mein Führer » une histoire de voyage dans le temps, autour d’un thème usé jusqu’à l’os : celui du dénouement de la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, l’humour avec lequel il le fait rend son texte et ses allers-retours temporels tout à fait savoureux. Rodolfo Martinez a la plume plus sombre et pessimiste : d’abord avec « Il traverse le désert », évocation d’un train continuant à parcourir une Terre vide d’hommes, très proche du « Vaisseau fantôme » de Ward Moore ; ensuite à travers « La route », passionnante peinture du dérèglement mental et, plus généralement, de la difficulté pour certains de trouver leur place dans une société aux normes trop contraignantes ; cette histoire d’un condamné devenu explorateur d’une route extra-terrestre à la finalité mystérieuse possède un pouvoir d’attraction assez fascinant.
Enfin, Eduardo Vaquerizo traite également d’un sujet déprimant dans ses deux nouvelles, la fin de l’humanité. « Les chemins du rêve » est le plus original, la nouvelle forme de vie qu’il imagine pour les derniers représentants d’une espèce humaine qui n’en est plus vraiment une se rapprochant par bien des points de la création d’Aguilera dans « La forêt de glace »... Quant à « Une Terre pleine de questions », elle met en scène des robots déterminés à retrouver le dernier homme afin de connaître ses ordres, dans une ambiance qui n’est pas sans évoquer celle de Demain les chiens. Un premier essai transformé pour cette anthologie dont on attend la future fratrie !